Opera Omnia Luigi Einaudi

La municipalisation du sol dans les grandes villes

Tipologia: Paragrafo/Articolo – Data pubblicazione: 01/01/1898

La municipalisation du sol dans les grandes villes

«Le Devenir Social», gennaio 1898, pp. 1-41 e febbraio 1898, pp. 127-145

In estratto: Paris, V. Giard & E. Brière, 1898, pp. 60

 

 

 

L’esprit de tous ceux qui se sont appliques à étudier les problèmes économiques les plus importants des grandes villes a été frappé par l’immense augmentation qu’a subie la valeur des terrains: tandis que l’intérêt des capitaux mobiliers diminue d’une façon continue, que le taux des profits arrives parfois à un tel point qu’un rapport officiel anglais l’a qualifié d’«évanescent» (to the vanishing point), et que la revenu foncier n’échappe point à la tendance irrésistible à la baisse, sous la pression de la concurrence universelle, de la réduction des tarifs et des frets, la rente des terrains urbains nous présente le phénomène presque unique d’une splendide courbe ascendante.

 

 

La dépopulation des campagnes, la course des paysans vers des occupations moins pénibles et plus rémunératrices ont élevé a des hauteurs incroyables les loyers des logements dans les villes et, par conséquent, la rente des terrains. Cette étude a pour but de présenter, dans un cadre restreint, quelques données intéressantes, relatives à la rente dans les villes contemporaines les plus importantes, autant que le permet le petit nombre des statistiques officielles; et, par l’examen de celles-ci, de tirer quelques déductions sur la légitimité de la dévolution de la rente aux propriétaires actuels du sol, et sur les moyens les meilleurs pour la consacrer, au contraire, à des buts généraux d’utilité publique.

 

 

Dans le pays continentaux, le propriétaire de la maison est généralement aussi le propriétaire du terrain sur lequel elle est construite; il est, par conséquent, difficile de distinguer dans le loyer, qui lui est payé par les locataires, les différents éléments qui le composent: la rente ou compensation pour l’usage du sol, l’intérêt  et l’amortissement du capital de construction de la maison, et le profit ou rémunération pour le travail de gestion de l’entrepreneur de location. Le phénomène de l’augmentation de la rente et de sa séparation absolue de l’idée de compensation pour le capitaliste-constructeur de maisons est rendu très manifeste dans les pays anglo-saxons par l’usage des longs baux, de 99 à 999 ans, au bout desquels le propriétaire acquiert, sans avoir fait aucune dépense, les construction érigées par le possesseur temporaire.

 

 

Le sol des grandes villes anglaises: Londres, Glasgow, Birmingham, Manchester, etc., appartiens à l’aristocratie anglaise; il est même le plus bel ornement de sa couronne d’or. New-York, Chicago, Philadelphie, Boston, Saint-Francisco, appartiennent, au contraire, à la nouvelle aristocratie des rois de la finance, des spéculateurs, qui, comme les Astor, ont placé leur argent en terrains, et qui, sans rien faire, se sont trouves, cinquante ans âpres, milliardaires grâce à l’augmentation de la valeur du sol. Les maisons des villes anglo-américaines ont été presque toutes construites par des individus qui savaient qu’à la fin du bail le terrain, ainsi que les maisons, devaient revenir au propriétaire du sol. Celui-ci perçoit tous les ans un revenu qui représente, dans sa forme la plus nette, l’avantage que procure le droit de propriété dont il jouit, sans aucun mélange d’éléments hétérogènes; intérêt  du capital de construction, profit de l’entreprise. Examinons d’abord l’Amérique. Malgré la jeunesse des villes, nées comme des champignons au milieu des prairies américaines, l’usage des baux à longs termes à des entrepreneurs, qui se chargent de la construction des maisons, est très répandu.

 

 

A Chicago, par exemple, le Ier mai 1895, les «Trustees» du «Stearn’s Estate», louaient dans Adam street, un lot d’angle de la largeur de 66 pieds et de la longueur de 198, pour 99 ans, au prix annuel de 70,000 dollars. L’entrepreneur-constructeur devait y ériger une maison d’au moins huit étages, et d’une valeur d’au moins 600,000 dollars. A la fin du bail toutes les améliorations appartiendront au propriétaire, sans qu’il air à débourser la moindre somme d’argent. Le I juin 1894, la Société de la «New Jerusalem» louait pour 99 ans au «New Temple of Music Building Company» un terrain in situé dans la Van Buren Street, de la largeur de 62 pieds et de la longer de 91. Le locataire s’engageait à y construire une maison de premier ordre, d’une valeur d’au moins 200,000 dollars, et à payer la première année 5,000 dollars; pour les neuf années suivantes, 12 mille; de la Xi à la XX année, 15,000 dollars; de la XXI à la XXX année, 17,500 dollars; de la XXXI à la XV, 20,000 dollars, et pour les dernières 59 années, 25,000 dollars. L’intention est évidente chez le propriétaire de prévoir l’augmentation future de la valeur du terrain, par suite de l’augmentation probable de la population. Lorsque le premier propriétaire n’est pas parvenu à absorber, non seulement la valeur actuelle du terrain, mais aussi toutes les augmentations de valeur espérées et probables, il nait alors un revenu additionnel en faveur du locataire qui, s’il cède le terrain à un autre, peut se convertir lui-même en un percepteur de rente, ou obtenir un capital payable en une seule fois.

 

 

Au commencement du mois de mars 1896, M. H. Kohlsaat, propriétaire du «Chicago Times Herald», vendait son droit de location d’un terrain d’angle pour 100,000 dollars. Lorsque le simple droit de location d’un terrain de la largeur de 90 pieds et de la longueur de 91 1/2 peut être vendu 100,000 dollars, il est possible de se faire une idée de la rapidité avec laquelle se forment les valeurs foncières à Chicago. Le terrain est situé à l’angle nord des rues State et Washington et vaut 1,572,222 dollars, c’est- à-dire 190,92 dollars le pied carré. Il est la propriété des héritiers du général H. L. Stewart, qui l’acheta, en 1844, pour 2,000 dollars. A ce moment l’endroit était considéré comme très propre à la construction d’une maison, à cause de sa vue sur le lac et du voisinage des rivages fleuris du fleuve Chicago. Le général Stewart vécut plusieurs années de joie tranquille au milieu des siens là où maintenant bourdonne le bruit de la grande ville. Lorsque des magasins commencèrent à envahir les environs de la maison du général et que la fumée des cheminées des fabriques infesta l’atmosphère, le général Stewart alla loger dans une partie plus grande agréable de la ville, fit raser son ancienne habitation et la remplaça par un grand magasin. Au magasin succéda ensuite un hôtel, le Saint James Hotel. L’incendie de 1871 le détruisit et rendit nécessaire la construction d’une nouvelle maison. Celle-ci, à son tour, a été remplacée en 1897 par une construction moderne de douze étages, mieux adaptée au développement croissant de l’endroit.

 

 

Pendant les 102 années de location les propriétaires ont perçu un revenu moyen annuel de 72,838 dollars, c’est-à-dire de 6,069 dollars par mois, environ 200 dollars par jours. Quand on pense que la valeur du lot de terrain a augmenté, en trois années seulement, de 100,000 dollars, il est permis de supposer que non seulement les propriétaires, mais aussi les futurs locataires pourront en tirer une somme toujours plus grande, un véritable «unearned incrément». la superficie du lot est de 8,235 pieds carres, moins d’un cinquième d’acre. La valeur moyenne d’un acre est de 8,318,315 dollars, d’un hectare 20,796,587 dollars, c’est-à-dire 100 millions de francs. Quelle énorme accroissement de valeur si on le compare aux 10,000 francs que valait le même hectare, en 1844, et quelles splendides espérances de rente chez les heureux propriétaires du terrain de Chicago! Mais le document peut être le plus important, publié par le rapport dans lequel je prends les faits exposes jusqu’ici, est le chapitre intitule: Economic History of a quarter Acre in Chicago. Dans un tableau merveilleux, qui va de 1830 à 1894, est exposée l’histoire d’un quart d’acre situé dans le centre de Chicago; on y compare l’augmentation de valeur avec l’augmentation du nombre des habitants de la ville.

 

Les promoteurs du vote pourront indiquer quel est le système qu’ils préfèrent; si la moitié plus un des votants l’accepte il devra être appliqué. Le système facultatif tendrait, une fois que les électeurs seraient conscients de leurs intérêts, à favoriser peu à peu et spontanément l’adoption du système indiqué à l’article 3. Lorsque l’application en serait devenue assez générale et que les bienfaisant effets en seraient universellement reconnus, l’impôt sur la valeur du sol, à l’exclusion des améliorations et comprenant dans le mot sol les monopoles naturels, devra être obligatoire et unique.

 

 

Ainsi, dans les deux grandes et jeunes sections de la race anglo-saxonne, les lois déjà existantes et les propositions officielles de lois nouvelles semblent associer à l’abandon de l’ancien impôt général sur la propriété l’adoption de l’impôt sur la véritable rente du sol. Nous avons démontré comment ce système est applicable aux grandes villes modernes, et, laissant complètement de coté la discussion du problème plus vaste de l’imposition de la rente foncière, nous avons indiqué ses bienfaits en ce qui concerne la rente urbaine.

 

 

Les heureuses applications faites dans la Nouvelle Zélande sur un champ bien plus vaste nous font croire que l’impôt sur la rente urbaine devrait être chose aisée.

 

 

L’absorption de la rente du monopole du sol urbain par la ville pourra être effectue dans d’autres formes encore.

 

 

Eu même temps que l’imposition exclusive de la valeur du sol bâti et à bâtir, on peut établir que les nouvelles maisons pourront être construites âpres que la ville aura acheté le terrain à bâtir.

 

 

L’achat devra s’effectuer au prix courant du marché de sorte que les propriétaires reçoivent une compensation pour les terrains expropries. A fin d’éviter les manœuvres frauduleuses, la détermination de la valeur du sol devra être confiée à un tribunal arbitral. La ville ne paiera naturellement jamais la valeur artificiellement élevé que la spéculation foncière a donnée maintenant aux terrains à bâtir; l’application de l’impôt sur la rente aura en effet diminué la valeur du sol à bâtir et poussé les propriétaires à accepter avec joie les offres d’achat faites par le seul acheteur: la ville. Les mêmes règles devront être suivies en cas de percement de rues. La municipalité devra acheter le sol aux propriétaires expropries par suite de travaux d’assainissement, en leur donnant la valeur du Merche.

 

 

Apres avoir acheté le terrain, la municipalité ne devra pas s’en défaire de nouveau, mais elle devra en conserver la propriété et la louer aux enchères au plus offrant, pour de longues périodes, avec l’obligation pour le locataire d’y bâtir des maisons répondant aux prescriptions du bureau municipal des constructions. Au terme de la période de location, le terrain devra revenir avec les constructions à la municipalité sans aucune compensation pour l’entrepreneur. La période devra être assez longue pour que le constructeur de maisons puisse, en tenant compte de l’augmentation naturelle du taux des loyers, amortir le capital employé, payer la rente due à la ville, rembourser ses frais d’entretien et d’assurance, et recevoir un intérêt de son capital et un profit industriel. Le mécanisme de l’enchère fera de telle sorte que le revenu payé à la ville soit minime l’osque le temps de location est court, assez fort lorsque le bail est de longue durée.

 

 

A la fin du bail la municipalité remettra de nouveau le terrain et la construction aux enchères, obtenant une augmentation de revenu correspondant à l’augmentation des loyers.

 

 

L’accusation de confisquer les capitaux dépenses par l’entrepreneur ne nous induit pas en ligne générale à lui accorder le droit à une compensation à la fin de la période de location. Lorsque celle-ci est assez longue, rien n’est pas plus facile que de déterminer le taux annuel d’amortissement nécessaire pour se rembourser du capital entier employé et diminuer la rente payée à la ville en proportion de la charge plus lourde.

 

 

L’amortissement devenu ainsi obligatoire pour l’entrepreneur du capital de construction ne sera pas sans avantages. Les maisons n’ont plus maintenant en moyenne une longue vie; m. d’Avenel calcule que les maisons parisiennes ont une moyenne de vingt-cinq années d’existence. Spécialement là où les maisons sont en fer, il est nécessaire de les changer pour les adapter aux besoins nouveaux; et il est nécessaire que des empêchements ne se présentent pas sous la forme de perte irrémédiable du capital employé dans la construction de toute la maison. A la règle générale il ne sera fait d’exception que pour les maisons destinées à la jouissance exclusive et personnelle du constructeur; on pourra lui reconnaitre, à la fin de son bail, un droit de préférence sur tous les autres concurrents, à égalité d’offres, et en plus, le droit de déduire du nouveau l’intérêt courant de la valeur du capital des constructions et des améliorations apportées au sol nu.

 

 

Le projet n’est pas le rêve fantastique d’un réformateur ardent, mais il est inspiré pas la réalité actuelle des pays les plus avances en richesses et en civilisation. Presque toutes les villes des pays de langue anglaise sont construites, comme je l’ai montré dans mon essai, par des locataires du sol. Il semble que dans l’imagination des entrepreneurs de maisons la période de quatre-vingt-dix-neuf ans se confonde avec l’indéfini, et il n’est pas nécessaire d’un autre stimulant pour les inciter à dépenser de grandes sommes pour la construction de palais fastueux, si ce n’est la sureté absolue d’en jouir pendant ce temps déterminé. Le système adopté par les propriétaires anglais est tres propre à stimuler la construction des maisons; dans les villes du continent, si un individu veut construire une maison, il doit posséder, outre les capitaux nécessaires pour la construction, des capitaux souvent tres grands pour acheter le terrain sur lequel la maison sera construite. Avec ce système des longs baux, le constructeur ne doit pas débourser de suite de grosses sommes et diminuer d’autant les capitaux disponibles pour l’entreprise; mais il s’engage seulement à payer un rente annuelle qu’il déduira des loyers qui lui seront verses par les locataires. Il n’est pas extraordinaire qu’un système aussi favorable aux intérêts des propriétaires, qui s’assurent des augmentations futures de la rente et de toutes les améliorations apportées pas d’autres au sol, et aux intérêts des constructeurs qui ne doivent plus immobiliser de fortes sommes dans l’achat du sol, ait trouvé un large et si heureux accueil auprès les peuples de race anglaise. Les propositions faites plus haut ont pour but unique de changer la personne à laquelle est payée la rente; à la place du particulier, la ville touchera les loyers. Rien ne sera changé pour cela dans l’organisation économique actuelle. Les propriétaires actuels seront expropries, mais ils recevront la valeur entière du terrain cédé; leur fonction de percepteur de la rente urbaine sera remplie par la ville. L’entrepreneur-constructeur de maisons versera la rente annuelle dans les caisses de la ville, au lieu de la verser dans les mains de l’argent du propriétaire. Il n’y a aucun motif pour croire que la ville doive être un percepteur des rentes plus inhabile ou plus exigeant que des particuliers. L’expérience acquise jusqu’ici à cet égard induit plutôt à croire que la ville peut accomplir ce rôle, à l’avantage de ses propres revenus et de la société tout entière.

 

 

La ville de Birmingham, âpres l’acception de l’«Artisans Dwellings Act» de 1895, entreprit l’assainissement d’un de ses plus mauvais quartiers, où grouillait une population misérable de 16,500 personnes, parmi lesquelles le taux de la mortalité atteignait le chiffre tres élevé de 53 pour 1,000.

 

 

La ville avait dépensé, à la fin de 1889, environ un million et demi de L.; le revenu des nouvelles maisons et des anciennes s’élevait à 53 mille livres sterling par an. En supposant que la rente n’augmentera pas, les contribuables devront payer pour 30 ans, dont une bonne partie (le projet fut commencé en 1878) est déjà passée, l’intérêt et l’amortissement du capital d’établissement, c’est-à-dire 25,000 livres sterling. Apres cette date, la vente du terrain sera absolument gratuit pour la ville de Birmingham. Comme le sol n’en a été loué que pour 80 ans, à l’échéance du contrat de location, la ville obtiendra un énorme revenu en devenant le possesseur de la plus belle de ses rues.

 

 

En attendant, la mortalité est déjà descendue à 21 pour 1,000. Birmingham ne s’est pas contentée d’exproprier les possesseurs du sol et de le louer au plus offrant, mais elle s’est faite elle-même l’entrepreneur de petites maisons ouvrières, qui sont toutes louées à un taux modique à des familles ouvrières. On calcule que les loyers obtenus compensent non seulement les frais d’entretien, et paient l’intérêt et l’amortissement du capital employé, mais qu’ils donnent encore une véritable rente de 11 d. par yard carré pour les premières soixante-quinze années. Manchester a aussi entrepris l’assainissement de ses slums en expropriant les propriétaires des vieilles maisons dangereuses pour la santé publique. Deux maisons ouvrières isolées ont déjà surgi par son initiative, et la ville espère tirer un profit de son entreprise tout en imposant des loyers modères aux familles ouvrières. Liverpool a construit deux maisons qui ont couté ensemble 68,077 livres et 16,166 livres. Le revenu brut était respectivement, en 1893, de 2,825 livres et de 807 livres. Si l’on calcule que le taux courant de l’argent en Angleterre est de 3 %, on voit que la ville a déjà commencé à jouir d’un unrearned uncrement qui affluait autrefois aux coffre-fort des propriétaires des slums. Les lodging- houses construits par la ville de Glasgow sont une institution hautement humanitaire qui en même temps rapporte. L’excès du revenu sur les dépenses a toujours rétribué largement le capital employé, et le taux du profit n’est pas descendu au-dessous de 4 à 5 %. Quoique, par suite d’une crise immobilière qui a duré de 1880 à 1890, les travaux grandioses d’assainissement ne soient pas devenus encore à la ville, huit maisons de logements ouvriers, qui ont occasionné une dépense totale de 30,000 livres, donnent un revenu brut de plus de 4,000 livres et net de 3,000 livres par an.

 

 

Les exemples donnes démontrent, avec une évidence indiscutable, que, non seulement les villes peuvent être des percepteurs de rente, habiles et intelligents, mais aussi d’heureux constructeurs de maisons spécialement pour la population ouvrière et pauvre, souvent négligée par les entrepreneurs particuliers toujours à la chasse de revenu excessif. Celui qui se contente de ce résultat peut, avec raison, affirmer que la dévolution aux municipalités de la rente urbaine est non seulement une théorie économiquement juste, mais un fait déjà réalisé, dans le monde économique moderne, à l’avantage présent et futur des villes qui l’ont entrepris. Quelles seront les conséquences de la municipalisation du revenu urbain? Henri George a fait un tableau imagé et riant de la société future âpres l’adoption de l’impôt unique sur la rente foncière. La spéculation folle et frénétique sur les terrains cessera, le capital et le travail pourront se consacrer harmonieusement au développement des énergies fécondes de la nature. «La concurrence ne sera pas comme maintenant unilatérale. A la place des travailleurs luttant les uns contre les autres pour un emploi et baissant à la limite de l’alimentation physiologique, on aura de nombreux capitalistes qui courront âpres les ouvriers et leur offriront de justes salaires. Sur le marché du travail ce sera alors présenté le plus formidable des concurrents, un concurrent dont la demande ne cesse pas tant qu’il existe des besoins non satisfait: la demande du travail même. Les capitalistes devront lutter non seulement les uns contre les autres par suite de l’augmentation des profits et du commerce qui aura une nouvelle vie, mais contre la possibilité acquise par les ouvriers de devenir leurs propres entrepreneurs sur les richesses naturelles, rendues libres pour tous par l’impôt qui abolit le monopole de la terre. L’accès des richesses naturelles devenu libre à tous, le capital ainsi que les améliorations exonéré des impôts, le commerce délivré de toute entrave, le spectacle d’hommes pleins d’énergie et dans l’impossibilité de transformer leur travail dans les choses dont ils ont besoin, disparaitra, le parasitisme actuel qui paralyse l’industrie cessera; toutes les roues de la production seront mises en mouvement; la demande suivra l’offre et celle-ci se conformera à la demande; le commerce deviendra plus intense dans tous les sens et la richesse augmentera pour tous les hommes». L’imposition de la rente du sol dans les grandes villes et la municipalisation progressive du terrain à bâtir n’auront certainement pas le pouvoir de produire tous les mirifiques résultats prédits par George. Les crises et le chômage ont de trop profondes racines dans l’économie moderne pour qu’ils puissent être déracines par une reforme si modeste. Rien n’est pas plus pernicieux aux idées bonnes et fécondes que leur mélange avec d’apocalyptiques prévisions d’un avenir radieux et d’une transformation sociale radicale, effet d’un remède unique. Les maux qui affligent l’économie moderne sont de caractère et intensité très varies: des remèdes opportuns et différentes doivent être adoptes prudemment pour en détruire les sources.

 

 

L’impôt sur le revenu immobilier des grandes villes aura pour effet de faire disparaitre une des plus grandes plaies qui enveniment l’organisation sociale de ces gigantesques agglomérations humaines: la discriminations des impôts en faveur des classes riches et au dommage des classes pauvres. L’impôt sur la rente du sol fera peser la plus grande partie du poids des impôts sur la classe sociale qui peut le mieux les supporter et attribuera à la communauté entière une partie croissante de cette richesse qu’elle a crée. Ces deux effets auront une action bienfaisante sur toute l’économie sociale, en mettant un lourd frein aux spéculations sur les terrains et en atténuant les manifestations périodiques des crises immobilières. Le revenu affluant annuellement dans les caisses des villes pourra être destiné à des services intellectuels et civils qui sont tout à fait négliges à l’heure actuelle; beaucoup de services publics pourront être gratuits, ou presque, pour les citoyens.

 

 

Pour atteindre ces deux buts la réforme des impôts et l’attribution d’une richesse toujours croissante à son véritable auteur, certaines conditions sont pourtant nécessaires, qui se trouvent rarement réunies ensemble. A Birmingham, la dévolution à la ville de la rente immobilière d’une de ses plus belles rues a suivi l’impulsion d’un homme d’un esprit supérieur, un des hommes d’Etats anglais modernes les plus instruits et les plus prévoyants, M. Chamberlain, aidé par un conseil de négociants et de bourgeois, qui ont cru simplement remplir leur devoir d’administrateurs en assurant à la ville un large devenu, et en détruisant une source continuelle de maladies contagieuses. L’Angleterre est peut être le seul grand Etat moderne ou` la classe capitaliste consente à se défaire petit à petit de ses privilèges les plus précieux; chez les autres nations, toutes les classes de propriétaires s’élèvent comme un seul homme pour défendre leurs intérêts. Dans les villes anglaises, les négociants et les industriels n’ont pas craint d’exproprier les propriétaires des terrains, des gazomètres et des installations d’eau potable, et ils ont été aides et stimules dans leur initiative par l’opinion publique éclairée et consciente de l’importance qu’ont acquises aujourd’hui les questions sociales. Mais en aucun autre pays on ne trouve un ensemble de conditions aussi propices pour des reformes véritablement saines et fécondes: le respect pour les formes antérieures des vieilles institutions et l’audace qui les dépouille de leur substance intime et n’en laisse subsister que l’enveloppe; l’instruction répandue qui empêche une classe ou un groupe social de se servir de la machine gouvernementale et municipale pour se procurer des faveurs illégales au dommage de la société entière; l’ascension continue et ininterrompue de la classe des travailleurs patiemment organisée et tournée vers la conquêtes des avantages matériels immédiats. C’est seulement par un ensemble extraordinaire de circonstances qu’on a pu avoir ainsi le spectacle étrange d’une nation, où le socialisme est la doctrine d’un petit nombre d’esprits cultives et ou` les expériences socialistes ont eu leur application la plus large et la plus heureuse, ou` les ouvriers ont tres peu de représentants au Parlement et ou` cependant on trouve la série la plus imposante de lois rigoureusement appliquées pour la protection de la classe des travailleurs. Dans les pays dans lesquels les classes dirigeantes des propriétaires considèrent l’Etat et les municipalités comme une excellente machine pour accroitre leurs revenus, pour se faire octroyer des monopoles lucratifs, l’avènement de ce qu’on appelle socialisme municipal, et spécialement l’impôt sur la rente immobilière, ne sera possible que lorsque le prolétariat sera devenu une force politique et économique grandiose. Alors, non pas avant, l’impôt sur la rente pourra devenir une réalité; mais alors il sera peut être trop tard. Le détritus d’or que le monopole du sol dépose chaque année dans les écrins des propriétaires aura augmenté dans de telles proportions qu’une expropriation graduelle et une absorption lente, quoique accompagnées d’une compensation, paraitront chose trop petite, trop futile aux classes qui se seront emparées du pouvoir. Cette même reforme qui, commencée à temps, pourrait conduire, sans secousses et sans dommages imprévus pour les propriétaires actuels, à la municipalisation du sol a bâtir par le savant mécanisme des impôts et par l’amortissement des capitaux employés dans l’achat du sol, se transformera alors en une expropriation violente, qui ne pourra être effectuée qu’âpres une lutte douloureuse, et ne conduira à un résultat utile plus grand que celui que l’on obtiendrait avec les reformes proposées.

 

 

Voici quelques-unes des réponses les plus intéressantes: «Les maisons riches sont imposées bien plus faiblement que les maisons moyennes et petites. La différence est de 15 à 25%. Une maison de la valeur de 10 à 20,000 dollars est évaluée de 800 à 1,000 dollars, tandis qu’une maison de 800 dollars est évaluée de 400 à 500 dollars. Les maisons de luxe sont évaluées à un cinquième de leur valeur et les maisons ordinaires à environ la moitié de leur prix. Généralement, plus la maison est couteuse, moins elle est imposée au taux de sa valeur. Il existe in différence au détriment du pauvre parce qu’il est plus facile d’évaluer la valeur de sa maison… Comme à l’ordinaire, les pauvres supportent le poids des impôts. La différence est de cent pour cent en faveur des maisons luxueuses; les propriétaires prétendent que s’ils étaient régulièrement imposes toute émulation disparaitrait pour leur construction». Sur 71 assesseurs interroges, un ne répondit pas, un autre déclara que l’on essayait de favoriser les classes ouvrières, 25 affirmèrent que l’équité la plus scrupuleuse présidait à la distribution des impôts, et 44 étaient de la même opinion, c’est-à-dire que plus la maison était chère et luxueuse moins était grand le pourcentage soumis aux impôts.

 

 

Les 25 assesseurs qui avaient déclaré que l’équité présidait à la distribution des impôts pour les riches et les pauvres, admirent pourtant que la raison des réclamations manquait chez eux, parce qu’il n’existait pas dans leur district de maisons de luxe, mais seulement des maisons de paysans. Il est donne évident que l’équité n’est appliquée que là où la rente est très petite, c’est-à-dire dans les campagnes; là où le phénomènes de la rente immobilière s’accentue le plus, par suite de l’agglomération de la population, là, les propriétaires triomphent le plus aisément dans la lutte pour l’exonération des impôts au détriment des classes ouvrières, à qui la misère économique empêche de gagner une influence politique durable.

 

 

Mais, là où la non-péréquation atteint son apogée, c’est dans les grandes villes, où les corporations puissantes, les millionnaires et les milliardaires, disposent à leur gré, par la force occulte de l’or, des administrations publiques. Chicago en est un exemple tres éloquent. Ici, la discrimination prend deux formes principales: en faveur des riches, et contre les améliorations. Examinons-les successivement. Le tableau qui suit sert à comparer la valeur réelle et la valeur imposée de 30 maisons, habitées par des riches et de 30 maisons appartenant à une classe intermédiaire, entre la petite bourgeoisie et les artisans habiles.

 

 

Les maisons des ouvriers, au lieu d’être imposées, comme celles des riches, au 7,78% de leur valeur réelle, sont frappées en raison du 15,90%. Preuve évidente que, sous un système d’impôt ayant pour but apparent d’être égal pour tous, en proportion de la valeur des propriétés, les maisons des ouvriers qui essaient d’acquerir, par l’épargne, quelque indépendance, sont imposées le double, proportionnellement à leur valeur, des maisons des riches.

 

 

La deuxième espèce de discrimination existe contre ceux qui améliorent la terre, en faveur de ceux qui la laissent improductive. On peut affirmer que, presque toujours, une superficie non bâtie, et sur laquelle il n’y a aucune construction, est frappée à raison du 5,70% de sa valeur, tandis qu’une construction paie à raison du 15,90%. Le spéculateur, qui obtient tous les ans d’énormes bénéfices en monopolisant les terrains des grandes villes, se procure encore un bénéfice en échappant aux impôts, à l’encontre de celui qui a fait de fortes dépenses en élevant des constructions sur un terrain vacant. Mais, abstraction faite de la tendance cachée et fausse de tout le systeme dont nous venons de parler pour empêcher les améliorations, l’usage qui impose moins les maisons que le terrain est profondément et insidieusement mauvais pour les classes moins fortunées; il tend à imposer plus lourdement les propriétaires dont les maisons ont une plus grande valeur, relativement au sol nu, c’est-à-dire à exonérer la rente du sol et à frapper le profit des entrepreneurs de constructions. Les habitations situées dans le centre des villes, là où la valeur du sol est tout, et où la valeur de la maison est un simple appendice peu important seront en partie exemptes des impôts; et les maisons des ouvriers, construites à la périphérie, avec de grands frais, sur des terrains de peu de valeurs, seront surchargées d’impôts.

 

 

Dans le centre des affaires, le terrain représente le 87,50%, et les constructions seulement le 12,50% de la valeur totale, tandis que, dans les habitations à bon marché, la valeur du terrain est de 21,13%, et la valeur des constructions de 78,87%. Si on regarde les colonnes 10 et 11, il semble qu’un étrange courant de sympathie pour les classes moins aisées a inspiré le systeme des impôts de Chicago. En effet, la maison plus couteuse et plus riches est plus frappée que ne l’est la maison pauvre sur la valeur du terrain (7,29 au lieu de 5,33%), et sur la valeur des constructions (27 au lieu de 15,71%). Mais le tableau change du tout au tout, en passant de l’idylle sentimentale à la tragédie de la lutte de classes, aussitôt que l’on passe à la colonne 12. Là, on voit que la maison pauvre est frappée pour le 13,52 de sa valeur totale, tandis que la maison riche ne l’est que sur le 9,75%. Par quel effet de passe-passe est advenue cette admirable transformation? Simplement parce que la classe riche des propriétaires a eu recours à un stratagème tres subtil et caché, pour atteindre l’exonération des impôts, but si désiré! Tout en ayant l’air de contribuer généreusement aux dépenses publiques, elle a fait imposer le terrain moins que les constructions; et, par ce système qui, de prime abord, a l’air inoffensif, elle a été favorisée au détriment des moins riches, parce que la valeur de ses maisons était due surtout aux terrains, et non pas aux constructions (12,50%). Elle payait ainsi le taux minimum d’impôts sur la partie la plus riche (87,50%) de son bien et le taux maximum sur la partie la moins couteuse (12,50%), tandis que la classe petite bourgeoise et ouvrière payait le taux maximum des impôts sur la fraction la plus importante (78,87%) de son patrimoine.

 

 

Les exemples que nous venons de citer sur la discrimination en faveur des riches et au détriment des pauvres, sous une forme ouverte ou cachée, sous les apparences menteuses d’un privilège innocent pour le terrain nu, ne sont pas isoles. Le rapport du bureau du Travail de l’Illinois, cité au commencement de cette étude, est plein de preuves statistiques, qui démontrent toutes que la rente du sol à bâtir augmente de plus en plus dans les grandes villes, et, comme par une puissante force de rétorsion, les percepteurs oisifs de la rente parviennent à augmenter celle-ci, en se dérobant d’une façon ouverte ou habilement cachée, au paiement de la somme d’impôts qu’ils doivent.

 

Il a été lu pour la première fois à une assemblée du «Chicago Real Estate Board», en novembre 1893, par M. F. R. Chandler, qui jouit d’une grande autorité en ces matières. L’auteur du mémoire a étudié d’abord les prix aux quels avaient été vendus un grand nombre de terrains situes dans le centre des affaires, après 1830, et quoique aucun n’ait été assez souvent vendu pour permettre à l’auteur d’en déterminer le prix annuel, l’énorme quantité de statistiques réunies, leur comparaison avec nombreux documents officiels, avec des archives particulières et avec les cours du marché ont permis à M. Chandler de se former une opinion exacte sur la valeur des terrains situes dans le centre commercial, pour chaque année, après 1830. Ensuite, M. Chandler a demandé à 100 personnes, parmi les plus versées dans les négociations immobilières, quel était le terrain qui avait la plus grande valeur à Chicago.

 

 

La majorité indiqua un lot situé au coin des rues Madison et State, appartenant au «Board of Education». La valeur que donnent les expert à ce terrain ne semble pas exagérée lorsque l’on pense que celui du général Stewart, dont nous avons parlé plus haut, à été vendu à raison de deux millions de dollars le quart d’acre, tandis que l’acre en question avait seulement une valeur de 1,250,000 dollars en 1894. Le tableau fait par M. Chandler, complété par l’«Office du travail» est une contribution si précises et si intéressante, pour la discussion des questions théoriques les plus difficiles et des problèmes pratiques les plus importants, que je crois qu’il est nécessaire de le reproduire entièrement.

 

 

Le quart d’acre (dont M. Chandler a été l’historiographe non moins digne de louanges que les chroniqueurs qui perpétuèrent les souvenirs des batailles et des mariages princiers), situé de l’embouchure du fleuve Chicago, valait en 1830, lorsque la population de la ville était de 50 habitants, 20 dollars, c’est-à-dire 13 jours et demi de travail ordinaire. Il n’est donc pas été possible de l’échanger pour la centième partie d’un domaine moyen actuel de l’Illinois. La population augmentant et les affaires s’améliorant, le quart d’acre augmenta de valeur d’année en année jusqu’à ce qu’il valut dans le «boom» de 1836, 25,000 dollars. Cette année il eut fallu cinquante-cinq ans de travail ordinaire pour l’acheter et il eut été possible à son propriétaire d’obtenir en échange douze domaines moyens actuels de l’Illinois.

 

 

Avec la panique de 1837, le quart d’acre perd neuf dixièmes de sa valeur momentanée et artificielle. Pendant les années de la dépression économique le lot de terrain diminue constante ment de prix jusqu’à ce qu’il touche en 1842 le tirefond et ne vaut plus que 1,000 dollars, somme qui est pourtant cinq fois plus grande que celle d’où part sa course effrénée vers la hausse. En 1843, reviennent des temps meilleurs, la population croit et le quart d’acre recommence, quoique timidement, à augmenter de valeur; en 1845, il était monté à 5,000 dollars, et en 1846, dans un second «boom», à 15,000 dollars. Cette hausse effrénée fut suive, comme à l’ordinaire, d’une panique, et malgré une augmentation de la population de 18 pour 100, la valeur du quart d’acre tomba à 12,000 dollars. la crise laissait donc à une valeur douze fois plus grande que celle à laquelle il était tombé pendant la dépression précédente.

 

 

La découverte de l’or et l’augmentation de la population en firent hausser légèrement la valeur en 1848. Pendant l’année prospère de 1856, sa valeur monte au faite de 45,000 dollars, ce qui esquivant à vingt et un domaines moyens actuels de l’Illinois et à 100 années de travail manuel ordinaire. La panique de 1857 le fait redescendre à 35,000 dollars; les périodes suivantes de temps difficiles continuèrent à en diminuer la valeur jusqu’à ce quelle fut tombée, en 1861, à 28,000 dollars. Depuis cette époque la valeur croit constamment, pendant la guerre et pendant les années d’activité extraordinaire qui suivirent, jusqu’au grand incendie et à l’année 1872; il valait alors 125,000 dollars.

 

 

Ensuite viennent une panique et une dépression, mais le quart d’acre sort triomphant en 1878 ayant atteint une valeur de 95,000 dollars, presque quatre fois autant que la valeur fugitive du maximum du premier «boom», six fois celle du second «boom», et elle double de celle du troisième «boom». Avec le retour de meilleurs années, en 1879, le quart d’acre augmente de nouveau de valeur et alors commence une course effrénée qui n’est point terminée encore. Les années mauvaises succèdent aux années prospères, le calme plat à l’activité fiévreuse, mais la valeur du quart d’acre monte sans relâche, à 175 mille dollars en 1881, à 325 mille en 1886, à un million en 1891 et à un million 250,000 dollars en 1894, après la grande exposition universelle. Six cents domaines moyens de l’Illinois ne suffiraient pas à acheter ce quart d’acre de terrain, et presque 3,000 ans de travail manuel ordinaire seraient nécessaires à un individu dépourvu de fortune pour en acquérir la propriété. Si 500 ans avant l’ère chrétienne un homme avait pu obtenir un emploi journalier avec un salaire d’un dollar et demi, s’il avait vécu comme le Juif-Errant, s’il avait pu traverser les siècles miraculeusement sans faire aucune dépense, s’il avait travaillé depuis cette époque 300 jours par en et si, par un effet magique, il avait pu accumuler tous ses gains, il ne pourrait encore, après 2,400 ans, acheter le quart d’acre de la prairie qui est au bord de l’embouchure du fleuve Chicago.

 

 

On dirait un roman et c’est de l’histoire. Devant ce merveilleux tableau des valeurs foncières s’évanouissent toutes les théories apologistes intéressées de la propriété, qui la font toujours reposer sur la base solide de l’épargne, de l’abstinence, de l’occupation. L’art rusé des législateurs cuirasses avec des formules du vieux droit romain et les illogismes aigus des théoriciens de l’abstinence ne parviendront jamais à démontrer que la valeur du quart d’acre à Chicago est due en quoi que ce soit au travail, à l’esprit d’entreprise d’un propriétaire, qu’il est une récompense grandiose, quoique méritée, des risques et de l’audace avec laquelle il a su doter l’humanité d’un procédé industriel nouveau. L’histoire qui nous est racontée par le tableau de Chandler prouve, avec une certitude indiscutable, que le mouvement ascendant si rapide de la courbe de la valeur des terrains est du à l’augmentation encore plus rapide et plus étonnante de la population de Chicago.

 

 

La valeur de cette parcelle de terrain nu est la conséquence nécessaire et inévitable de l’accroissement extraordinaire de la population, de l’augmentation des affaires, de la possibilité de manier dans le petit espace d’un bureau situé dans le centre d’une grande ville une énorme masse d’affaires, avec une très grande rapidité et une économie de frais supérieure au surenchérissement provoqué par la rente du sol. Le propriétaire vend aux enchères, au plus offrant, le droit de se servir de son terrain pour pouvoir accomplir une multitude d’opérations utilise à la société. La rente est dans les grandes villes le prix exact du monopole dont jouit le propriétaire du sol, et celui-ci sans aucune abstinence, sans aucun risque, sans la moindre apparence de travail accumulé, est en mesure d’extorquer à ses concitoyens un tribut destiné à croitre fatalement tant qu’augmentera la population, que la trame de la vie sociale ne cessera pas de devenir plus complexe et que les transactions économiques continueront à se multiple, tant que se fera sentir la nécessité de centraliser tous les moteurs du grand mécanisme qui donne la vie à tous les innombrables canaux de l’activité humaine.

 

 

Plus de deux tiers des propriétaires possèdent moins des trois dixièmes du terrain, et moins d’un maigre quart de la valeur de toutes les propriétés; les 824 propriétaires des trois dernières classes possèdent à peine autant de terrain et à peine les deux tiers de la valeur des 48 grands propriétaires des trois premières classes; et tandis que chacun d’eux a une fortune qui n’arrive pas à 95,000 dollars, les heureux possesseurs des trois premières classes ont une richesse territoriale qui s’élève, en moyenne, à 2,100,000 dollars. Si le terrain monopolisé par les trois premières classes est comparé aux domaines moyens de l’Illinois, chaque propriété esquivant à plus de 1,000 domaines, ou à un terrain de prés de 100 milles carres. Le comble de la concentration se manifeste dans la première classe, où chaque propriétaire possède trois millions et demi, qui correspondent à 1,750 domaines, ou plus de 170 milles carres, toute une province agricole. Que l’on remarque, en outre, que dans la première classe, composée de 18 individus, possédant ensemble 2 millions de pieds carres, quelques-uns ont la part du lion: un grand propriétaire, Marshall Field, à lui seul, possède 276,000, c’est-à-dire de 13% en terrain, et presque le sixième de la valeur de tout le territoire appartenant à la classe entière; il est suivi de prés par Levi Leiter, qui possède 233,000 pieds carres, et un peu moins du sixième de la valeur totale.

 

 

Les chiffres cites ci-dessus nous disent encore autre chose: les grands propriétaires parviennent non seulement à accaparer une partie exorbitante du terrain et de la ville de Chicago, mais ils en détiennent les endroits les meilleurs et les plus précieux. La première classe, qui possède les 17,52 du terrain, a le 20,22% de la valeur totale; la deuxième, qui a le 5,13% en terrain, a le 5,41% de la valeur; le troisième a le 6,04% de terrain et le 7,19 de la valeur; et tandis que les trois premières classes ensemble possèdent le 28,69% du terrain et le 32,92% de la valeur totale; les trois dernières classes, quoique propriétaires du 28,87 du terrain, ont ensemble les 23,30 de la valeur totale du terrain. Les meilleurs endroits sont, naturellement, monopolises par les plus riches. Les inductions obtenues par ces chiffres se trouvent confirmées lumineusement par la distribution de la propriété des lots situes dans les carrefours des rues; ceux-ci, comme l’on sait et comme il est naturel, ont, pour les commerçants et les industriels, une valeur beaucoup plus grande que les lots situes dans l’intérieur des rues et ne donnant que sur un seul coté de celles-ci. Voici comment est divisée la propriété des lots, dans le territorien situé au nord de Congress street jusqu’à Chicago river, c’est-à-dire dans le quartier où l’on fait la plus grande partie des affaires de Chicago.

 

 

Les grands propriétaires ont, ici, exclu de la possession toutes les autres catégories: le 73,33% des angles est la propriété de ceux qui ont 100 pieds de façade et au-dessus, et les angles les plus étendus et les plus apprécies, appartiennent à la première classe; celle-ci a le 82,67% de la totalité des pieds de façade, le 83, 81 de la superficie et le 83,62 de la valeur totale. Tandis que les propriétaires des autres catégories possèdent on seul angle en moyenne, ceux de la première possèdent un angle et 7 dixièmes, et quoique les 443 propriétaires les plus riches ne soient que le 66% du nombre total des propriétaires, ils possèdent presque le 84% de la valeur totale de la surface du district examiné.

 

 

Ce qui nous intéresse le plus, dans le phénomène de la concentration des terrains dans les mains d’un petit nombre d’individus est ce fait qu’elle est peu importante dans les campagnes, et s’accentue spécialement dans les grandes villes. Pour démontrer comment le centre de gravité du monopole de la terre se déplace des campagnes aux villes, nous citerons les données suivantes sur le Michigan.

 

 

Il n’est pas nécessaire de commenter un tableau aussi significatif; il nous fait voir que le monopole du terrain agricole a une bien moindre importance que celui du terrain urbain, il nous montre comment le revenu urbain est animé par un mouvement ascensionnel bien plus puissant et plus invincible que le revenu des campagnes. Si l’on voulait représenter par une pyramida l’importance actuelle du revenu, on devrait mettre les terres rurales à sa base acev une très large étendue et une hauteur minime; au-dessus, avec une étendue moins vaste mais avec une hauteur toujours croissante, les villages, les villes moyennes et les grandes villes, et finalement, au faite, les énormes agglomérations humaines qui s’appellent Londres, Paris, New York, Chicago. L’exactitude de cette image nous est démontrée par un fait notable du Michigan. L’étendue entière de l’Etat est de 36 millions et 755,000 acres. Le valeur foncière de la ville de Détroit correspond à la valeur de 6 millions et demi d’acres, situées dans les campagnes; le revenu et le profit tires des terrains et des maisons de Détroit correspondent au revenu et au profite 11 millions 200 mille acres ruraux. Trois villes de la grandeur de Détroit donnent à leurs propriétaires un revenu égal au revenu obtenu au prix d’immenses travaux par les paysans qui cultivent et possèdent tout le terrain rural de l’Etat.

 

 

Les rapports si intéressants des Offices du travail américains nous fournissent d’importantes preuves de la tendance à la concentration de la richesse dans les grandes villes et de sa diffusion égalitaire dans les campagnes. Par exemple, tandis qu’à Détroit il n’y a qu’un habitant sur 9 1/4 qui possède quelque immeuble, et dans les villes plus développées seul un individu sur 8 est propriétaire foncier, dans les petites villes et les villages, il y a un habitant sur cinq qui a un lien très étroit avec la terre. Et cela n’est pas tout. Dans les grandes villes et dans les endroits les plus populeux du Michigan la part la plus belle de la richesse appartient à ceux possèdent plus de 15,000 dollars; 1261 individus possèdent 90 millions de dollars tandis que les autres 30,000 possèdent seulement 57 millions; tandis que dans les petites villes ou dans les villages 81 personnes possèdent 2 millions, les autres 19 mille ont prés de 24 millions. Il y a aussi une gradation dans la façon avec laquelle est partagée la richesse selon le nombre plus ou moins grand des habitants des villes.

 

 

En comparant Kalamazoo (17,853 hab.) avec Détroit (205,000 hab. en 1892-93) on voit que dans la première ville il n’y a pas de propriétaire d’immeubles d’une valeur supérieure à 100,000 dollars, et le 68,52 % de la valeur de la propriété appartient à ceux qui possèdent moins de 10,000 dollars; à Détroit au contraire les propriétaires de moins de 10,000 dollars possèdent seulement le 37,31 de la richesse immobilière. A Kalomazoo le 18,25% de la population est attaché à la terre par les liens de la propriété et à Détroit seulement le 15%. dans cette même ville, malgré l’existence d’un système d’impôt qui, frappant la valeur du sol, facilite l’accès à la terre, la concentration de la propriété continue sans trêve. En 1884, le 4,76 % des propriétaires possédait le 50,4 % de la propriété, en 1892 – 93 le 52,66 % de la propriété appartenait au 3,06 % des propriétaires.

 

 

La diffusion des richesses s’allie donc dans le Michigan à la prépondérance de l’agriculture, à l’absence de grandes manufactures; la concentration se fait au contraire parallèlement à l’augmentation de la population dans les grandes villes, à la découverte et à l’exploitation des mines ET base forte. Si Nus passe de l’Amérindien à l’Europe Nus pouvons constatera le même phénomène de l’élévation constante et régulière des valeurs des biens urbains; le taux d’accroissement est peut-être plus lent et plus uniforme, mais il n’en est pas moins caractéristique. La Fabian Society, dans son Tract n. 30, a calculé l’Unearned Incrément des Ground Values de Londres; elle a composé le tableau suivant, qui nous indique le revenu annuel des maisons de 1870 à 1894, en faisant une distinction entre l’accroissement du aux nouvelles constructions et celui qui provient de l’augmentation de la valeur du terrain, c’est-à-dire la rente proprement dite. Ces chiffres sont pris dans le Local Governament Board Report de l’année 1881, dans la Statutory Lists of Totals publiée par le «Clark to the Metropolitan Asylums Board» de 1871 à 1889, et par le «Clark to the London County Council» de 1890 à 1895.

 

 

Toutes les années on fait à Londres une révision pour connaitre le revenu total des constructions récentes, des réparations et des agrandissements des anciennes, tous les cinq ans il est fait une évaluation générale du revenu de toutes les maisons de Londres; il est évident que la différence entre l’augmentation constatée à la fin des cinq années dans le revenu total et la somme des augmentations annuelles dues à de nouvelles constructions est due à l’augmentation de la valeur du terrain à bâtir et constitue une véritable rente. Quoique la population de Londres se soit beaucoup déplacée du centre à la périphérie, quoique certains quartiers aient perdu de leur valeur et que d’autres en ait acquis, on doit reconnaitre que dans le quart de siècle compris entre 1870 et 1895 le revenu annuel total de toutes les maisons de Londres a augmenté de 19,284,964 livres sterling, dont 11,502,628 sont l’intérêt  et le profit des entrepreneurs de constructions, tandis que 7,782,336 livres sterling constituent l’augmentation des rentes payées aux propriétaires par suite de l’augmentation de la population, du développement de la vie industrielle et commerciale. Si l’on suppose que les 41 millions du revenu total des maisons de Londres s’épares d’un coté en intérêt  et profit, et en rentes de l’autre dans la même proportion dans laquelle sont divises les 19 millions nouveaux nés de l’année 1870 à 1895 on s’aperçoit que dans la seule ville de Londres on paie annuellement un tribut de 16 millions de livres sterling, c’est-à-dire 400 millions de francs aux propriétaires pour la simple jouissance du sol nu, du terrain aride imprégné de l’humidité de la Tamise, sans aucune amélioration, sans aucun travail incorporé. Quoique le phénomène de l’augmentation du revenu urbain soit d’une évidence cristalline dans les pays de race anglo-saxonne, où les usages économiques séparent nettement la classe des propriétaires de celle des constructeurs de maisons, il n’est pas inconnu dans d’autres pays, comme la France et l’Italie.

 

 

Le vicomte d’Aveine tout en reconnaissant avec joie que la propriété mobilière fut l’éternelle victime des révolutions économiques, et que la propriété foncière rurale les a toutes traversées sans dommages, déclare que la propriété urbaine a été la grande privilégiée des temps modernes. Le type des habitations change avec le changement de la civilisation, les antiques constructions se minent lentement, et, à leur place, l’esprit d’entreprise construit de nouvelles et plus belles maisons, destinées à leur tour à subir l’influence inexorable du temps; mais une chose reste et croit d’une manière incessante: la valeur du sol nu. L’hectare du terrain compris dans les vingt arrondissements de Paris valait en moyenne au XIII siècle 652 francs, mais on y comprenait tous les terrains agricoles et incultes; actuellement il vaut 1, 297,000 FR. Le mètre carré a monté en six cents ans de six centimes et déni à 130 francs, et les 130 francs actuels sont la moyenne des 4 ou 5 francs des arrondissements extérieurs et des 2,000 francs du centre. Quelques exemples donnes par M. d’Aveine rappellent par leur caractère presque légendaire l’histoire du quart d’acre de la ville de Chicago.

 

 

L’Hôtel-Dieu comptait parmi ses biens à la fin du XIV siècle (1380) une petite métairie nommée «Des Pocherons» située non loin de la Chaussée d’Antin. Sa surface était de 2 hectares 72 ares; elle se louait alors 300 francs, c’est-à-dire valait 9 centimes le mètre carré. En 1399 la valeur du terrain était de 135 francs et en 1472 de 37 francs. Cinquante ans après, en 1524, il était loué 39 francs et l’on y avait ajouté un hectare et 35 ares dans le quartier de la Madeleine. Ces quatre hectares, qui vaudraient aujourd’hui plus de 40 millions de francs, ne rendaient en 1533 que 40 francs et ne valaient par conséquent pas plus de 600 francs de capital.

 

 

En 1552 ils s’étaient élèves à 1,900 francs, en 1646 à 25,400 francs, en 1767 à 64,000 francs, en 1775 à 260,000 francs. A la culture des potages avait succédé la construction des maisons, de là l’élan qui en avait poussé la valeur, tombée de 9 centimes en 1830 à un centime et demi le mètre carré en 1533, elle valait 54 centimes en 1646, 6 francs 40 en 1775, 1,000 francs finalement de nos jours. Le vicomte d’Aveine ajoute que ce sont là des exceptions infiniment rares, parce que tous les terrains de Paris ne sont pas à la proximité du Boulevard des Italiens, de la Madeleine ou du faubourg Montmartre; mais ils font voir d’une façon saisissante l’histoire presque fantastique du prix de ces aires privilégiées, que la civilisation a choisies au milieu des champs pour en faire le centre principal de son activité et de ses plaisirs. Dans des proportions moindres, l’accroissement de la valeur du sol urbain peut se vérifier aussi sur les grandes masses; à Paris, l’Hôtel-Dieu possédait en 1529 un domaine de 83 hectares dans l’espace occupé aujourd’hui par les jardins du Luxembourg, de l’Observatoire et des environs. Au XV siècle ce terrain valait 20,000 francs, au XVI il était monté à 460,000 francs et aujourd’hui, en le calculant à 200 francs le mètre, il représente un capital de 166 millions de francs. De même à Londres, Hyade-Park acheté en 1652 par la Chambre des Communes pour 425,000 francs vaut aujourd’hui 200 millions de francs. M. d’Aveine, comme complément de ses études sur les prix et les loyers des maisons au Moyen-âge et aux temps modernes, nous présente le tableau suivant de la valeur de tout le territoire de la ville de Paris, y compris les maisons.

 

 

Gènes où l’exigüité du sol exagère la force ascensionnelle de la rente du sol, la location d’un appartement de moyenne grandeur, composé de 6 ou 8 pièces, monta, de 1888 à 1891, de 1,200 à 1,400 francs dans le centre commerçant, de 600 à 750 la périphérie de la ville, de 1,000 à 1,200 francs dans les nouveaux quartiers, de 700 à 800 francs dans les vieux quartiers et de 650 à 700 dans les faubourgs. Comment la hausse des salaires et la diminution du cout de la nourriture peuvent-ils compenser une augmentation aussi vertigineuse des loyers des maisons? A Florence, ville de peu de vitalité économique, le prix des terrains, qui, était en 1855 de 16 FR. 50 pour les terrains du Lugano, par suite des oscillations provoquées par les événements politiques, était en 1888 de 100 francs pour le centre de Florence, et à 30 francs pour les allées de circonvallation, de 10 à 20 francs pour les quartiers situes aux environs des «vili» et de 5 à 10 pour les autres terrains du faubourg. A Catane le prix par mètre carré d’un terrain à bâtir était selon la situation: 1882 1890

 

 

Dans le centre commerçant

80 FR. 85 FR.

A la périphérie

2 FR. 50 5 à 10 FR.

Dans les nouveaux quartiers

2 FR. 50 5 à 10 FR.

Dans les vieux quartiers

5 FR. 8 à 15 FR.

 

 

Si nous quittons le territoire italien, le spectacle que nous présentent les valeurs immobilières dans les grandes villes ne change pas. A Bruxelles, le prix des terrains à bâtir était évalué en moyenne à 300 francs pour la partie commerçante en l’année 1888, et 70 francs dans la partie non commerçante. Quelques lots à la proximité du marché Saint-Géry furent vendus aux prix de 1,000 francs le mètre carré.

 

 

A Berlin, selon les calculs faits par la «Struer-un Einquartierung- Deputation», le nombre des habitations était de 322 mille en 1886, et de 344 mille en 1888, de 361 mille en 1889 et de 402 mille en 1891: leur revenu était, à ces dates, de 196, 220, 235 et 268 millions de marks. Pendant que, entre ces deux points extrêmes le nombre des habitations augmentait de 24,8%, le loyer annuel augmentait dans une mesure plus rapide de 36,7%. A la fin du première trimestre de chacune des années 1881, 1886 et 1891 pour chaque 100 habitations on avait le pourcentage suivant.

 

 

On remarque une augmentation continuelle du pourcentage des loyers chers et une diminution constante des loyers bon marché; et quoiqu’on puisse attribuer ce fait en partie aux améliorations apportées dans la construction des maisons et au confort plus grand des appartements modernes (contrebalancé par le meilleur marché de la construction des maisons) il est due dans une plus grande mesure à l’augmentation de la demande de logements, qui a fait passer des appartements des classes les plus inferieures aux classes supérieures.

 

 

Pendant que, d’après des témoignages qui se corroborent entre eux, la valeur des maisons et des constructions augmentait dans de grandes proportions, le nombre des maisons et des constructions croissait beaucoup moins. Au développement de la population ne faisait pas suit avec une égale rapidité l’esprit d’entreprise, et il en résultait une grande augmentation du prix des loyers et de la richesse monopolisée par les propriétaires du sol. A Leipzig les terrains à bâtir vendus par la commune valaient en moyenne dans la ville extérieure 30 à 45 marcs en 1882, 38 à 99 marcs en 1889, dans les faubourgs annexes à la ville 13 à 15 marks en 1882, et 30 marks en 1889. Les terrains vendus par la société immobilière valaient en moyenne dans la ville extérieure 28 à 19 marks en 1884, et 53 à 86 marks en 1889, et dans les faubourgs annexes 11 à 83 marks en 1884, et 18 à 50 marks en 1889. A Budapest, on remarque la progression suivante, dans le nombre des maisons assujetties à l’impôt et dans leur revenu imposable.

 

 

Après une crise immobilière qui avait fait baisser le prix des loyers en 1880, ils ont repris leur marche ascendante. II L’etonnante histoire du quart d’acre de praire situé à l’embouchure du fleuve Chicago n’est donc pas un cas isolé, mais l’exemple type, nettement dessiné, d’un phenomene qui se répète dans toutes les grandes villes en progrès des temps modernes. L’augmentation constante de la population des villes, due à la centralisation de la vie politique, commerciale et industrielle en des points donnes, et la dépopulation des campagnes, permettent aux heureux propriétaires des terrains à bâtir de prélever un tribut qui semble destiné à croitre fatalement. Peut-on donner des raisons plausibles pour justifier le monopole du sol urbain dans les mains d’une classe restreinte de privilégies? Il serait oiseux de dire que les propriétaires ont acheté le monopole dont ils jouissent sur le marché des valeurs foncières avec les capitaux accumules par leurs épargnes, et que partant, ils ont autant le droit de jouir de leur propriété qu’en a le propriétaire d’une fabrique ou d’un terrain agricole. De la même manière, les apologistes intéresses de l’esclavage évoquaient à la pensée de leurs auditeurs le spectacle pitoyable de la pauvre veuve chargée de famille, qui avait comme seul moyenne d’existence le travail de quelques esclaves achètes avec des économies péniblement acquises. Et pourtant, les souffrances éventuelles inévitables d’un petit nombre de propriétaires d’esclaves n’ont pas empêché l’abolition de l’esclavage lorsque ses fâcheuses conséquences furent reconnues, et que l’organisme économique qui en rendait nécessaire l’existence fut changé.

 

 

Pour que la dévolution de la rente urbaine à la communauté soit justifiée, il n’est pas du tout nécessaire qu’elle puisse s’effectuer sans aucun dommage pour les propriétaires actuels, il suffit que leur monopole soit non seulement devenu inutile, mais nuisible. Dans les villes où les habitants s’amoncellent par centaines de milliers, par millions, quelle fonction sociale utile remplissent les propriétaires du sol? Ils ne provoquent pas la construction de maisons, car, au contraire, ils gardent leur terrain vacant, afin de diminuer artificiellement le terrain disponible, augmenter son prix, et s’en défaire dans des conditions très avantageuses. Dans les pays anglo-saxons, les propriétaires ne se soucient pas de construire des maisons, mais ils louent leurs terrains à des entrepreneurs-constructeurs qui s’obligent à rendre le terrain avec les maisons qu’ils y ont construites à l’expiration d’un nombre déterminé d’années.

 

 

En Europe, le propriétaire du sol nu le vend lorsque le prix a atteint une certaine élévation à un spéculateur qui y bâtit une maison avec l’espoir de s’en défaire ensuite avec bénéficies, et dans cette poussée incessante de spéculateurs successifs prennent leur origine ces crises dans lesquelles succombent les imprudents qui ont acheté à un prix élevé; ils sont une proie facile pour les banques et les usuriers qui acquirent les constructions au moment où la crise est à son apogée, surs de pouvoir, plus tard, jouir d’un revenu considérable, lorsque le retour de temps meilleurs aura ramené les valeurs et les loyers à un taux plus élevé. La classe des propriétaires des villes ne remplit donc aucun rôle utile; elle se borne à tirer de son monopole le moyen d’extorquer aux individus un tribut toujours augmentant; elle exerce une influence néfaste sur la vie économique et sociale tout entière.

 

 

En attisant la spéculation foncière elle fomente le retour continuel et périodique des crises, qui sont déjà douloureusement funestes par elles-mêmes; en gardant, par artificiel, des terrains non bâtis, elle augmente la valeur du sol, le taux des loyers et accumule la population ouvrière dans des quartiers immondes. Selon les calculs du département américain du travail: 25 mille personnes à Baltimore, 162 mille à Chicago, 360 mille à New-York et 35 mille à Philadelphie vivent dans les siums, dont la définition est la suivante: «Des rues sales, sombres, habitées par une population décharnée et criminelle; des districts infects et dangereux».

 

 

La formation d’une ploutocratie de propriétaires, comme on nous l’a démontré par des faits incontestables, en rendant plus aigu le phénomène de la rente, provoque l’appauvrissement à l’autre bout de l’échelle sociale de la population prolétaire et errante, et empêche que l’on améliore les conditions sanitaires des maisons. «La condition interne des logements, déclare l’Office du Travail du Massachussetts, à la fin d’une longue et patiente période rechercher sur les maisons de Boston, pourrait être aisementamelioree par les propriétaires. Quelques-uns parmi eux surveillent constamment l’état de leurs maisons, mais malheureusement, ils ne sont pas tous aussi scrupuleux».

 

 

On comprend très bien pour quelle raison les propriétaires de terrain n’ont pas intérêt  à améliorer les conditions sanitaires de leurs maisons. Les habitants pour les classes pauvres sont, en effet, un genre de placement très rémunérateur, peut-être plus rémunérateur que les logements pour les riches qui demandent de grands frais d’entretien. Dans l’enquête faite les conditions des habitations de Boston, on trouve une liste intéressante de 645 maisons qui furent trouvées en mauvaises conditions par les inspecteurs. La liste ne comprend pas toutes les maisons des «siums» de Boston, mais seulement celles pour lesquelles il fut possible de comparer le revenu annuel avec la valeur totale du sol et des constructions.

 

 

On ne peut vraiment pas affirmer que les propriétaires des «siums» de Boston ne tirent pas un grand revenu de leurs propriétés; la valeur totale de 645 maisons était de 1,997,900 dollars, dont 906,100 dollars pour le terrain et 1,091,800 dollars pour les constructions. Le revenu total est de 249,709 dollars, c’est-à-dire le 12,50% du capital employé!

 

 

Si l’on regarde la façon dont les maisons se distribuent dans l’échelle des revenus on voit que les plus grand nombre des maisons rendent de 10 à 15%; et la courbe s’élève rapidement à partir des revenus de 6% et descend avec rapidité après le groupe qui rend le 20%. Quelques maisons isolées rapportent des % énormes; trois rendent le 30%; deux le 32%; une le 33%; une le 34%; deux le 36%; une le 38,39 et 40% et deux finalement donnent à leur propriétaire un revenu de 48 et 49%. La raison pour laquelle les maisons situées dans de mauvaises conditions hygiéniques sont la source d’un lucre exagerépour leur propriétaires dépend en partie des risques qu’ils courent pour ces loyers, du surcroit de profit que le propriétaire s’alloue comme compensation de l’obligation dans laquelle il est d’avoir à traiter constamment avec une catégorie inferieure de gens, du peu de liberté qu’ont pour le choix de leurs habitations les locataires des «siums», qui, par leur misère, leurs vices, la dégénérescence morale, ou la proximité du travail, sont forces de vivre dans des quartiers détermines, où les loyers, quoique aboutement peu élèves, sont toujours relativement élèves pour le capital employé par le propriétaire.

 

 

D’autre part la concurrence que d’autres propriétaires pourraient leur faire n’est pas à craindre, il n’est dans l’intérêt  de personne de construire une maison sale et insalubre des l’abord d’éloigner les bons locataires et d’y attirer la population pauvre et errante des grandes villes. Elle se tasse dans les vieilles demeures et provoque chez le propriétaire la haine de la reconstruction, car elle procure un si fort bénéficie au capital qu’il y emploie qu’il serait absurde d’en espérer autant une fois la maison rebâtie. Ainsi, d’un coté, la faiblesse d’une population qui est à la recherche de petits loyers, et, de l’autre, la répugnance des propriétaires à courir les risques de la construction de nouvelles maisons coopèrent pour rendre plus aigu, dans les «siums», le phénomène de rentes foncières et à perpétuer dans les grandes villes les quartiers immondes, perpétuelle menace à la sante publique et à la santé de ces mêmes propriétaires qui tirent de si larges profits de l’existence d’habitations malsaines.

 

 

Egalement funeste est l’influence exercée par le monopole des propriétaires sur les administrations publiques. Il est rarement facile de découvrir en Europe par des documents irréfutables jusqu’à quel point la classe des propriétaires peut parvenir à se faire exonérer des impôts, partiellement ou totalement, grâce à sa domination sur les pouvoirs publics. On se souvent encore en Italie du chœur d’indignation hypocrite qu’accueillit l’œuvre de Quintin Sella, lorsque ce ministre intègre présenta à la Chambre la liste des plus forts contribuables pour l’impôt sur le revenu (ricchezza mobile). On vit alors des députes, des sénateurs, des médecins, des avocats, etc., qui gagnaient d’une façon notoire de 50 à 100,000 francs par an, déclarer des sommes ridicules, insignifiantes, et par le moyen de hautes protections rester ainsi exemptes de la charge des impôts publics, et en décharger le poids sur les épaules de la petite bourgeoisie et du prolétariat. Il existe dans les Etats-Unis de nombreux documents qui racontent la non-péréquation des impôts entre les classes, entre les riches et les pauvres, entre les propriétaires paresseux et les entrepreneurs audacieux.

 

 

Quoique l’impôt général sur la propriété veuille frapper là-bas toutes les formes visibles de la richesse, n’excluant ni les tableaux, ni les meubles, ni les objets de luxe, les classes riches ont su, en s’emparant des pouvoirs publics et en corrompant les bandes vénales des politiciens qui se trouvent à la tète des villes et des Etats, s’exempter d’une partie énorme des impôts qu’ils devraient payer.

 

 

M. Steak, dans un livre vendu par centaines de milliers d’exemplaires a écrit des pages brulantes sur l’injustice et l’iniquité du système de taxation en vigueur dans les Etats-Unis: «l est basé sur le parjure, et a pour conséquence naturelle et nécessaire l’injustice, la corruption et l’appauvrissement de ceux qui sont déjà pauvres… En Angleterre nous sommes habitues à considérer les Américains comme une race passionnée pour la liberté, douée d’un profond sentiment de justice et incapable traditionnellement de supporter quelque injustice que ce soit, d’autant moins lorsque celle-ci se présente sous la forme d’impôt. Les hommes qui jetèrent le thé dans le port de Boston et rompirent le nœud qui attachait la colonie américaine à la mercepatrie, ont laissé peu de descendants parmi les habitants de Chicago. Le total des impôts que firent perdre à l’Angleterre les colonies américaines atteignait à peine 400,000 dollars. Des sommes beaucoup plus fortes sont extorquées tous les ans aux plus pauvres habitants de la grande ville américaine, tandis les riches sont exempts de paiement. Le trust, les corporations, les millionnaires de Chicago, paient les impôts sur moins du dixième de la valeur de leurs énormes accumulations de richesse, tandis que les petits propriétaires sont imposes la moitié ou sur le tiers de la valeur de leur mince patrimoine. Les millions appartenant aux riches sont protèges au moyen de la corruption et du parjure contre l’impôt, tandis que les humbles maisons des pauvres ne jouissent d’aucune protection».

 

 

Les documents officiels abondent sur ce sujet aux plus aveugles les assertions de M. Steak, c’est-à-dire que la classe des propriétaires se sert de son monopole pour s’exonérer des impôts, et en faire porter la charge aux masses les plus pauvres. Nous nous bornerons à glaner quelques faits qui démontrent qu’à la tendance irrésistible à l’augmentation du revenu foncière correspond une tendance à rendre toujours plus léger le poids des impôts au fur et à mesure que l’on va des maisons des ouvriers et des petits bourgeois aux maisons de luxe habitants millionnaires des villes.

 

 

En 1888-89, le bureau de statistique du travail de l’Iowa commença des études sur le système des impôts; parmi les demandes adressées aux personnes interrogées, il y en avait une ainsi conçue: «Existe-il une inégalité dans l’imposition des maisons de luxe, vastes et couteuses? Par exemple, les maisons d’une valeur de 10,000 à 60,000 dollars sont-elles imposées dans la proportion des maisons de 1,500 à 7,000 dollars?».

 

 

Nous avons vu, dans les deux premières parties de cette étude, comment, dans les grandes villes en progrès, la rente du sol augmente sans cesse, à mesure que les campagnes se dépeuplent et que les hommes s’amassent dans de grandes et monstrueuses agglomérations, et comment se fait, fatalement, l’asservissement des grandes masses de travailleurs au service d’un petite nombre d’individus, détenteurs du sol sur lequel se développe la plus grande partie de l’intense activité industrielle, commerciale et scientifique de notre époque.

 

 

La classe des propriétaires parvient à attirer à elle les meilleurs fruits de la civilisation moderne, au moyen du mécanisme subtil de la rente du monopole du sol des villes, rente qui s’accroit nécessairement, grâce à des causes universelles et sociales. La grandeur même de ce profit immérité la pousse à l’augmenter toujours davantage, en négligeant les devoirs imposes par l’hygiène et par la santé publiques, en corrompant les administrations urbaines pour obtenir l’exonération des impôts. Quand un organe est devenu inutile et dangereux, son extirpation pacifique ou violente est inévitable; lorsque la concession d’un monopole à une classe déterminée n’a pas plus sa justification dans des raisons d’ordre économique et social, sa décadence ou sa disparition finale peuvent être reculées, par les artificiels de la force et du raisonnement, pour quelques années encore, mais pour quelques années seulement. La Coubre splendidement ascendante de la valeur du quart d’acre de Chicago, exemple typique d’un processus qui s’accomplit avec une force irrésistible dans toutes les grandes cites modernes, a démontré que la valeur du sol à baudir est due à l’augmentation de la population et à l’intensification de la vie économique; mais le motifs qui pouvaient peut-être conseiller l’attribution de cette rente à une classe spéciale d’individus venant à manquer, lorsqu’il est prouvé que l’appropriation privée du sol urbain engendre des maux et des inconvénients très graves, une seule conclusion se présente avec une évidence instinctive à qui ne ferme pas les yeux à la lumière des faits: des maintenant, il est possible et utile d’attribuer à la société entière la jouissance de la rente annuelle du sol dans les villes en progrès.

 

 

L’attribution peut se faire de différentes manières. La confiscation par l’Etat, sans aucune compensation aux propriétaires a l’inconvénient grave d’éveiller l’aversion de tous ceux qui possèdent quelque chose, et qui craignent que l’Etat, alléché par la première expérience, veuille procéder de la même façon à l’égard de toutes les autres formes de la propriété privée. Elle ne serait possible que si cette mesure faisait partie d’un plan général de reconstitution de la société. Ce n’est qu’au moment de la socialisation de toutes les industries et de toutes les formes de propriété qu’il serait possible de confisquer, sans compensation aucune, la rente foncière urbaine. Jusque-là, les expropries pourraient toujours s’élever, et avec raison, contre l’injustice d’une mesure qui les frappe seuls durement, et qui laisse indemnes les propriétaires d’autres formes de richesses, peut être tout aussi illégitimement acquises que la propriété du sol. Il ne résulte pas nécessairement de là, que ceux qui ne croient pas à la socialisation de tous les moyens de production et de travail, ou qui ne croient pas que son avènement soit proche, doivent renoncer à tout espoir d’attribuer à la société les fruits opimes de la rente immobilière. Pour celui qui se propose un but pratique immédiat, et non la palingénésie de la société, il existe d’autres moyens, par lesquels, surement et doucement, on peut arriver au même but, en améliorant considérablement les finances municipales.

 

 

Les tentatives de reforme des impôts, qui ont été faites dans ces derniers temps, ont eu un double caractère: l’attribution à l’Etat des impôts directs sur l’ensemble du revenu, et l’attribution aux groupes politiques locaux de l’impôt sur la richesse immobilière. On peut donner de multiples raisons pour justifier cette tendance. Les organes de l’Etat sont plus aptes à découvrir l’ensemble du revenu de chaque individu ou de chaque société; le montant du revenu dépend du degré plus ou moins grand de perfection et l’honnêteté de l’administration de la chose publique, de la secrété et de la justice.

 

 

Les citoyens forment un tout avec l’Etat, et ont le devoir de contribuer à l’administration publique par une partie de leur revenu, sous forme proportionnelle ou progressive, selon le système adopté.

 

 

La propriété immobilière, au contraire, a des relations très étroites avec les groupes politiques locaux: elle augmente ou diminue de valeur par suite de l’accroissement ou de la diminution de la population sur un point déterminé, par l’ouverture de nouvelles voies de communication, par suite des travaux publics entrepris par les communes, et elle forme ainsi la base d’imposition la meilleure pour les groupes politiques locaux. La commune peut frapper la propriété immobilière, sans que celle-ci émigre dans les pays où les impôts sont moins élèves; il est très facile au capital mobilier de se soustraire aux impôts établis dans une commune déterminée, en se refugiant dans les bourgs voisins qui, pour attirer à eux des richesses et des industries nouvelles, essaient, à qui mieux, de diminuer le poids des impôts.

 

 

L’Etat n’a aucune de ces craintes, lorsqu’il s’agit de frapper toutes les formes du revenu, même mobilier, d’autant plus qu’actuellement tous les Etats ont des impôts assis sur le revenu; on trouverait difficilement un Etat riche, qui consentirait à abolir tous les impôts directs sur le capital mobilier pour attirer à lui le capital étranger, et celui-ci n’a pas un mobile suffisant, pour s’expatrier en grandes masses, dans le seul désir de fuir les impôts. L’émigration des capitaux mobiliers est facile et fréquente de ville à ville, des villes aux campagnes, si l’on songe que leur transfert peut n’être qu’apparent, comme suite du changement de domicilie du titulaire, mais il ne l’est pas d’un Etat dans un autre Etat.

 

 

L’attribution des impôts directs sur l’ensemble du revenu à l’Etat et sur les propriétés immobilières aux groupes politiques locaux satisfait à ces règles fondamentales d’un système rationnel d’impôts. L’imposition exclusive de la propriété réelle par les communes n’a pas seulement pour but d’adapter l’impôt à la matière imposable, mais elle peut être aussi la suite de mesures de politique distributive. Les communes, notamment les grandes villes, peuvent se servir de l’impôt sur la propriété réelle, reconnue par tout le monde comme très adaptée à leur nature, comme d’un moyen pour absorber une partie de la rente du sol et pour attribuer à la société la jouissance d’une valeur crée par la société.

 

 

La dévolution de l’impôt foncière aux communes et aux groupes politiques locaux et sa transformation en impôt sur la rente du sol sont les deux points d’appui de toute reforme d’impôt vraiment sérieuse et efficace. La transformation ne pourra pourtant pas se faire partout et dans la même mesure. Dans les petits villages et dans les villes à population stationnaire, le loyer des logements ne rémunère que faiblement le capital employé dans la construction des maisons; et, si l’on voulait asseoir l’impôt sur la rente du sol, la matière imposable disparaitrait. Les désillusions ne seraient pas moindres pour ceux qui voudraient transformer, même dans les campagnes, l’impôt sur la propriété réelle en impôt sur la rente agricole. La concurrence transatlantique, les communications rapides grâce à la vapeur, les perfectionnements techniques, l’accumulation de grands capitaux dans la terre, ont mon, dans ce dernière quart de siècle, le piédestal antique de la terre; ils ont diminué le revenu du sol, et converti le revenu agricole en une rémunération parfois mesquine du capital incorporé dans le sol.

 

 

L’Etat qui, par amour des belles lignes uniformes, voudrait frapper la rente agricole, mettrait de nombreuses communes dans de fâcheuses impasses, et supprimerait peut-être toutes les sources du revenu. Toutes institution doit être modifiée avec le changement du moyen sur lequel elle opère. Dans les conditions actuelles de l’économie, l’impôt sur la rente ne peut se substituer aux autres impôts que dans les grandes villes en progrès. Ici, il peut avoir pour but non seulement de procurer à la commune ce dont elle a besoin annuellement, mais il peut servir à d’autres buts de politique sociale.

 

 

Le nouvel impôt devra frapper uniquement la valeur du terrain, sans tenir compte des constructions. Dans les maisons situées au centre de la ville, la valeur du sol est une partie importante de la valeur de la maison et du sol; sur un million de francs, 500,000 peuvent représenter la valeur du sol; l’impôt devra être de 4 ou 5% (c’est-à-dire égal au taux courant de l’intérêt  des capitaux immobiliers), sur la valeur du sol, de façon à absorber complètement cette partie de la rente qui est due au monopole pur et simple du terrain urbain.

 

 

Pour les maisons situées à la périphérie, au contraire, la valeur du sol constitue une partie beaucoup inferieure à la valeur de la maison; sur un million de francs, peut-être 200,000 suffisent pour représenter la valeur du sol. Ici aussi, le nouvel impôt devra absorber complètement l’intérêt  annuel, mais il est évident que le poids de l’impôt ne sera pas uniforme pour toutes les maisons, mais qu’il augmentera graduellement, au fur et à mesure qu’augmente la valeur du terrain, et que le monopole des propriétaires du terrain devient plus aigu. Non seulement la valeur du sol bâti devra être frappée, mais aussi la valeur du sol nu, qui est la source, comme nous l’avons démontré plus haut, pour ses propriétaires oisifs, de rentes aussi élevées, sous la forme d’une augmentation graduelle de la valeur, que celles du terrain bâti. Pour ne pas occasionner des perturbations trop fortes et trop soudaines, on peut introduire petit à petit le nouvel impôt, en augmentant, par exemple, graduellement, en vingt ans, l’aliquote de 1 à 4 ou 5% de la valeur-capital du sol, de telle sorte que les propriétaires puissent s’habituer à l’idée de leur expropriation graduelle. Il sera peut-être opportun de laisser une partie de la rente du sol au propriétaire, comme compensation du travail accompli par lui pour toucher les loyers et en verser le montant à la commune à titre d’impôt.

 

 

On pourra peut-être objecter que les constructions resterons ainsi exemptes d’impôts; mais cela n’est pas, parce que les maisons, comme toute autre source de revenu, devront être soumises à l’impôt général sur le revenu au bénéficie de l’Etat. Avec un simple changement dans le système d’impôt, les villes parviendront à s’emparer de la rente du sol des grandes villes, rente destinée à croitre tant que durera l’immigration actuelle des campagnes dans les grandes centrés industriels, commerciaux et intellectuels. Nous ne pouvons rechercher ici si les impôts qui frappent les propriétaires du sol peuvent être transfères à d’autres classes de personnes et, notamment, aux locataires, en se transformant en impôts de consommation. On ne peut nier que, même si ce phénomène devait se réaliser entièrement, on serait parvenue à remplacer les systèmes actuels des impôts de consommation profondément injustes, là où ils existent encore, comme en Italie et en France, et les impôts illusoires mal stabilisa sur le capital aux Etats-Unis, en un système d’impôts gradues progressifs sur les revenus selon la fortune des citoyens.

 

 

Dans les quartiers pauvres, où la valeur du sol est petite, comparée à la valeur des constructions, petits aussi seraient les impôts payes par les locataires, et l’impôt payé à la ville augmenterait petit à petit, au fur et à mesure que la valeur du sol s’élève comparativement à la valeur des maisons et qu’augmente la richesse de ceux qui les habitent, ou qui s’en servent pour leur industrie ou leur commerce. Mais il est évident qu’il est fort difficile de vérifier la transfert de l’impôt sur la rente de la classe des propriétaires à la classe des locataires. Nous avons dit plus haut que l’impôt sur la rente du sol à badin ne peut être proposé que pour les villes en progrès dont la population et les richesses sont sujettes à une loi d’augmentation rapide et plus ou moins continue. Dans des villes où l’esprit d’entreprise est très actif, l’absorption de la rente par la société ne décourage pas l’activité des entrepreneurs, mais l’aiguise en faisant cesser la spéculation foncière qui garde non bâtis de grands espaces de terrains dans le but d’en accélérer la hausse.

 

 

L’imposition d’une taxe sur la rente produira dans une ville en progrès un double effet. Les propriétaires de maisons tacheront de rejeter l’impôt sur les locataires, et ils y parviendront lorsque les revenus de ceux-ci le permettons et qu’il ne sera pas possible de chercher ailleurs des habitations, les maisons déjà existantes étant toutes occupées. En même temps l’impôt sur la rente des terrains non bâtis ayant pour effet d’en faire diminuer la valeur en proportion de l’élévation de l’impôt, cela excitera les propriétaires et à construire des maisons pour ne gans Player un impôt sans tirera aucun profit.

 

 

Les constructeurs de maisons neuves essaieront d’attirer à eux les locataires en se contentant du remboursement des impôts et d’un intérêt  pour le capital employé, plus une petite somme pour l’amortissement et la prime d’assurance contre les risques. La concurrence des maisons anciennes à des prétentions plus modestes; ils devront baisser les loyers, artificiellement élèves après l’application de l’impôt sur la rente, qui frappera ainsi en définitive la classe baes propriétaire.

 

 

La substitution de l’impôt sur la rente du sol à d’autres impôts n’est ni chose nouvelle ni chose qui ne fut jamais tentée. On l’a appliqué, et le résultat en fut excellent, dans la Nouvelle-Zélande. La jeune colonie, déjà par ses expériences sociales, profondément innovatrices, a appliqué la première, quoiqu’avec mesure, le single taxa, desideratum de l’école d’Henri George. Dans la Nouvelle Zélande comme aux Etats-Unis, il y avait impôt général sur la propriété et on y constatait les mêmes effets. La classe des capitalistes s’était emparée du pouvoir, et s’en servait pour se soustraire au juste paiement des impôts. La dépression très grande due à des spéculations excessives, financières, foncières et sur les chemins de fer, fit naitre dans la population ouvrière un grand mécontentement et le désir de porter un remède à ces maux. L’écho de toutes les réclamations et l’âme du mouvement fut M. Balance, le première ministre de la colonie. Depuis 1891 de nombreuses lois sociales ont été votées, qui placent la Nouvelle-Zélande à l’avant-garde des pays modernes. Parmi les nouvelles lois la place d’honneur appartiens aux Land and Incombe sassements Actas, de 1891 à 1892.

 

 

La matière imposable est double: d’un coté ont été frappes, avec tarif progressif, tous les revenus supérieurs à 300 livres sterling par an, provenant du commerce, des traitements ou salaires; de l’autre la terre est sujette à l’impôt selon sa valeur en capital. L’impôt se divise en impôt ordinaire et en impôt graduel. L’impôt ordinaire frappe la valeur intégrale de la terre dans mesure de 1 d. par livre sterling; on déduit de la valeur du terrain la valeur de toutes les améliorations et des dettes garanties par hypothèque.

 

 

De plus, lorsque la valeur en capital d’un terrain, d’où sont déduites les améliorations et les dettes hypothécaires, ne dépasse pas 1,500 livres, une somme de 500 livres reste exempte d’impôts; lorsque la valeur se maintient entre 1,500 et 2,500 livres, la somme de 500 livres, exempte d’impôts, diminue de 1 livre pour toute augmentation de 2 L. de la valeur en capital. Les dettes hypothécaires sont à leur tour frappes par l’impôt foncier ordinaire, perçu directement chez les créanciers; il n’est accordé aucune déduction, excepté lorsque, par dépréciation du terrain hypothèque ou par d’autres causes, sa valeur a diminué. En outre, l’osque le propriétaire d’un terrain ou d’une créance hypothécaire, dont le revenu n’est pas supérieur à 200 L. annuelles, devient incapable, soit à cause de son grand âge, de maladie ou autres causes, d’obtenir des profits industriels ou autres, il pourra lui être accordé une exemption ultérieure jusqu’à 2,000 L., pourvu qu’il soit prouvé que le paiement entier des impôts serait lui un poids insupportable.

 

 

L’impôt graduel frappe tous les terrains dont la valeur, en déduisant les améliorations que l’on y a faites, mais non pas les dettes hypothécaires, dépasse 5,000 L. L’aliquote hausse de 1 d. 1/8 pour les terrains d’une valeur de 5,000 à 10,000 L., par des augmentations successives de 1/8 de penny jusqu’à un maximum de 2 d. par livre sterling sur les valeurs de 210,000 livres et au-delà. Un impôt additionnel de 20 % est payé par les individus qui ont été absents de la colonie pendant plus de trois ans. Les évaluations se font tous les ans à la requête du propriétaire ou du commissaire des impôts. Le propriétaire qui croit l’estimation officielle trop élevée, peut obliger le commissaire à la réduire à la somme qu’il indique lui-même ou à acheter la terre au même prix. Si le commissaire croit qu’un terrain a été évalué au-dessous de sa valeur il peut inviter le propriétaire à accepter une nouvelle et plus forte évaluation; en cas de refus, il peut acheter le terrain en payant le prix en capital indiqué par le propriétaire avec une augmentation de 10 %.

 

 

Quelles ont été les conséquences de la transformation radicale du système des impôts dans la Nouvelle Zélande? En 1889, 25,841 personnes payèrent 246,268 livres sterling et 486 sociétés payèrent 107,905 livres pour les impôts sur la propriété, ensemble 354,167 livres. Sous le nouveau régime, le produit de la land and incombe taxa a toujours égéen augmentant, et en 1894-95 on l’évaluait à 200 mille livres pour l’impôt foncière ordinaire, à 79 mille pour l’impôt foncière graduel et à 91 mille pour l’impôt sur les revenus, en tout 370,000 livres. Tandis que le montant de l’impôt a augmenté, le nombre des contribuables a diminué; en 1893, sur 91,000 propriétaires existant dans la Nouvelle Zelande, seuls 13,000 sont soumis à l’impôt sur la terre. Le nouveau système d’impôts n’a pas été une panacée à tous les maux sociaux, mais il a été certainement un progrès bienfaisant. De 1889 à 1892, le nombre des propriétaires dont les terrains valent entre 100 livres et 200,000 livres passèrent de 84,547 à 91,501, tandis que la valeur des améliorations introduites par eux passait de 84, 208,230 livres à 92, 371,166 livres, montrant ainsi qu’on avait eu raison d’abolir entièrement l’impôt sur les améliorations.

 

 

Les travailleurs furent exonères de tout impôt, sauf des impôts de douane. Le peuple et la presse ont désormais reconnu les bienfaisants effets du nouveau système; les classes riches et aisées ont eu un peu plus de peine pour l’accepter sans murmurer, quoique la limite exemption soit déjà assez élevée et comprenne en réalité tous les propriétaires cultivateurs et tous les petits et moyens commerçants et individus exerçant des professions libérales. En dehors de cet effet naturel, et que l’on pouvait prévoir, de la répartition plus équitable du poids des impôts qui l’a reversé sur les classes riches, l’impôt sur le revenu foncière a eu aussi un autre effet social, prévu lui aussi et de très grande importance, le fractionnement des grandes propriétés. En 1892, trente deux sociétés possédaient 2, 402,752 acres; six d’entre elles possédaient plus de 150,000 acres chacune, c;’est-à-dire 1, 321,036 acres. La valeur des améliorations effectuées sur ce vaste terrain était de 4, 820,349 livres et la valeur du sol était de 3,274,271 livres. Le terrain était conservé dans un but de spéculation, retardant ainsi l’agglomération de la population et l’exploitation du sol.

 

 

La loi sur les impôts avait, parmi d’autres buts, celui de forcer les grands propriétaires à améliorer, à vendre, ou à subdiviser leurs possessions. En fait, de nombreux grands domaines furent vendus, d’autres furent améliores et un grand nombre vendus au Gouvernement et vertu des clauses d’achat indiquées plus haut. Jusqu’au mois de mars 1896, vingt huit domaines, s’étendant sur 86,919 acres, furent vendus au Gouvernement au prix de 377,553 livres, plus 11,76 livres pour dépenses d’administration; 133 maisons y sont déjà élevées par les nouveaux colons au nombre de 643; le revenu payé au gouvernement monte au 4,76 % de la somme dépensée pour l’achat. Le procédé de dissolution des grandes propriétés et de subdivision du terrain continue au grand avantage du pays. La prospérité nationale s’est grandement développée après 1892, les produits agricoles se vendent à des prix satisfaisants, les industries manufacturières sont très actives, les salaires augmentent et l’intérêt  diminue.

 

 

Après que le Gouvernement eut commencé ses prêts aux «far mers» à un taux fort bas, l’usure disparut et l’intérêt  tomba du 8 au 4 %. Les terrains incultes sont rapidement appropries par de petits propriétaires. Les bons effets du nouveau système d’impôt amenèrent le Gouvernement à étendre le système de l’impôt sur la valeur du terrain nu aux groupes politiques locaux. Depuis 1876, ceux-ci tiraient la plus grande partie de leurs revenus d’un impôt supplémentaire sur la propriété; le 10 juillet 1896 fut approuvé un acte en vertu duquel le 25% des électeurs d’un district, lorsque le nombre total des électeurs ne dépasse pas 100, le 20% lorsque les électeurs sont entre 100 et 300, et le 15 % lorsque les électeurs sont plus de 300, peuvent demander au président du bureau des routes et voies de communication du conseil du comté, ou au maire du bourg, de provoquer une élection pour choisir entre l’ancien système des impôts sur les terrains, y compris les améliorations, et le nouveau système des impôts sur le terrain nu. L’application du nouveau système est donc facultatif, sans cela la loi n’aurait pas été adoptée; les conditions politiques du moment, jointes aux difficultés d’une soi-disant impossibilité d’application, ont exclu en outre les villes de l’action de la loi, quoique par elles on peut-être mieux pu juger de ses effets pratiques.

 

 

Les bulletins de vote devront être formules de la façon suivante: Proposition pour l’adoption de l’acte de 1896 sur l’imposition de la valeur du terrain nu, en excluant les améliorations, dans le district de… I Je vote pour la proposition d’imposer le sol sans les améliorations. II Je vote contre la proposition.

 

 

Trop peu de temps s’est écoulé depuis le jour de l’approbation de la loi pour déterminer jusqu’à quel point le système de l’impôt unique a trouvé bon accueil auprès des groupes politiques locaux de la Nouvelle Zelande et quels en sont ses effets pratiques. Quoiqu’il soit regrettable que les villes soient exclues de cette expérience, car justement notre article a pour sujet l’étude du sol urbain, il est pourtant un fait notable, c’est que, dans la colonie anglaise, l’imposition de la rente du sol acquiert toujours plus de sympathies et se épand leu à leu arm Bès grappe politiques locaux.

 

 

En passant des applications déjà existantes du système d’imposition que nous désirons aux propositions officielles d’adoption, nous sommes heureux de signaler ici les conclusions auxquelles est arrivé le Bureau du travail de l’Illinois. L’assemblée générale de l’Etat devra se borner à prendre des précautions afin que le patrimoine de chacun soit équitablement évalué. Il sera du ressort des corps locaux, comtes ou villes, de décider quelle forme de la richesse doit former la base de l’impôt. Le 2 % des votants dans l’avant dernière élection, pourvu que le nombre ne soit pas inferieur à 25, pourra demander aux autorités de la ville ou du comté que l’on soumette au vote la question suivante.

 

 

L’impôt doit-il frapper uniquement:

 

 

1)    la valeur de la propriété mobilière, ou bien

 

2)    la valeur de la propriété immobilière y compris les améliorations, ou bien

 

3)    la valeur de la terre à l’exclusion des améliorations, ou bien

 

4) la valeur de la terre, des améliorations et de la propriété mobilière?

 

 

Tandis que le tribut payé annuellement aux propriétaires de terrains dans les grandes villes augmente progressivement, il se réunit dans les mains d’un nombre infime de privilégies. Nulle ne part, peut-être, la tendance à la concentration de la richesse ne se manifeste aussi fortement et aussi irrésistiblement que dans les grandes villes. Tandis que les statistiques des impôts et des successions semblent montrer, dans le monde économique moderne, une tendance à la dissémination de la richesse, au nivellement des fortunes, grâce à de puissantes influences qui coopèrent continuellement à ce but, comme la baisse du taux de l’intérêt , la hausse des salaires etc., d’autres et puissantes influences tendent à produire le résultat opposé.

 

 

Les Etats-Unis sont peut-être le pays où la concentration inévitable et fatale de la production est, le plus souvent, accompagnée aussi par la monopolisation, dans les mains d’un petit nombre de gens heureux et habiles, des sources naturelles et artificielles du revenu. Les grandioses syndicats américains n’ont pas eu comme résultat de distribuer la propriété des entreprises dans une armée d’actionnaires, mais bien de la concentrer dans les mains d’un petit nombre de spéculateurs et de capitalistes heureux. On peut en dire autant des chemins de fer, des postes et des télégraphes, et même du terrain à bâtir dans les villes.

 

 

La fortune des Astor, due à la prévoyance du fondateur de la dynastie, est célèbre; le fondateur de la dynastie acheta, à vil prix, le terrain sur lequel s’élève New-York. A Chicago, se répètent les mêmes phénomènes de concentration artificielle de la richesse, avec les mêmes caractères, dans les mains d’un petit nombre de monopoleurs. Voyons quelle est la concentration de la propriété foncière dans le district peut-être le plus riche de Chicago, et, selon l’opinion courante, le plus riche des Etats- Unis: la partie de la ville appelée South Sidé, où se trouvent les maisons des grandes corporations des banques, des chemins de fer et du commerce, où palpite, plus intense, la vie du centre de la grande plaine américaine.

 

 

Mais, en calculant de cette façon, nous nous tromperions, nous commettrions une grande erreur, nous oublierions qu’il ne faut pas tenir compte, dans les propriétés foncières, de la surface du terrain, mais de sa valeur. Si l’on calcule que la valeur taxée du terrain correspond, à Chicago, régulièrement à 7,36% de la valeur réelle, on voit que les 2,196 lots appartenant aux 1,198 particuliers, valent 319, 000,000 dollars. Chaque propriétaire ne possède, en effet, qu’un dixième d’hectare, mais ce dixième à une valeur de 266,277 dollars, c’est-à-dire plus d’un quart de million de dollars, presque 1, 350,000 francs, en laissant de coté toute la valeur des constructions. Devant un monopole de ce genre, à coté de ces 1,198 propriétaires possédant un quart de million de dollars, le peuple des agriculteurs de l’Illinois fait un contraste éloquent. Les recherches statistiques officielles ont démontré que chaque propriété rurale a une grandeur moyenne de 62 acres, et une valeur moyenne de 2,000 dollars. Il faudrait donc 133 propriétés moyennes de l’Illinois, ou un terrain agricole de prés de 13 lieues carres, pour égaler la valeur moyenne du terrain nu, appartenant, dans le South Sidé de Chicago, à un propriétaire. Et de plus, quoique la centralisation absolue de la fortune, qui réunit dans les mains de 1,198 millionnaires le district le plus populeux et le plus riche de Chicago, puisse sembler énorme, la concentration elle-même continue d’une façon très intense dans le sein même de ce petit groupe de privilégies.

 

 

La concentration de la propriété immobilière, qui nous est révélée par ces chiffres, est très grande; 18 personnes, c’est-à-dire 1,50% de la population propriétaire, possèdent les 10,15% des lots, le 17,5 de tout le district; 60 autres individus monopolisent le 20,12% du terrain de construction dans le centre des affaires de Chicago; si, ensuite, on calcule la valeur des terrains possèdes, on découvre que 88 personnes, c’est-à-dire à peine un peu plus du 7% du nombre total des propriétaires, jouissent d’une valeur de 136 millions de dollars, ou plus de 42% de la valeur totale du terrain et des constructions, avec une fortune moyenne de 1,500,000 dollars.

 

 

Lorsque l’on exclut successivement les classes les moins riches de la société, on s’aperçoit que 48 individus ont un patrimoine foncier moyen de 2,100,000 de dollars, 29 de 2,800,000, et finalement 18 de 3,500,000; et, tout en ne consistant que le 4, le 2,43 et le 1,5% du nombre des propriétaires, ils possèdent le 32,92, le 25,73 et le 20,32% de la valeur totale de la propriété. La tendance à la concentration peut être plus vivement mise en lumière, en comparant les trois classes de moindre importance avec les trois classes les plus riches, en laissant de coté la quatrième, la cinquième et la sixième, qui tiennent le juste milieu.

 

 

Le Paris moderne vaut deux fois et demi le Paris de Louis XVI, huit fois celui de Louis XIV et cinquante fois celui de Henri IV. L’accroissement énorme de sa valeur n’est certainement pas dû tout entier à l’accroissement de la population au développement de la vie publique, commerciale et industrielle, mais aussi, en grande partie, aux nouvelles constructions, aux rues et aux promenades. L’affirmation par laquelle M. d’Aveine termine ses longues et laborieuses recherches est néanmoins incontestable. «L’augmentation de la valeur du sol nu est purement gratuite. Elle né ré présente le exulté d’aucun effort de il part de ceux qui en font benefici».

 

 

Entre Chicago, Londres et Paris, il n’y a de différence que dans la rapidité avec laquelle se développe l’augmentation de la valeur du sol. En soixante ans la transformation de l’Amérique septentrionale fait élever la valeur d’un hectare situé dans le centre de Chicago de quelques dollars à 100 millions de francs, en vingt-cinq ans l’augmentation de la population de Londres augmente de prés de 200 millions de francs le tribut annuel payé aux propriétaires du sol, comme tels; six siècles transforment les 9 centimes de valeur du mètre carré du sol parisien en 1,000 francs et rendent en 3 siècles la valeur de toute la ville de Paris cinquante fois plus grande. Le phénomène se manifeste tantôt d’une façon plus accentuée, tantôt moins, tantôt il est merveilleux, presque inconcevable par son étrange rapidité, tantôt d’une inconcevable, lenteur. La cause en est toujours la même: l’augmentation de la population et l’intensité de la vie commerciale de industrielle et politique dans les grands centrés où se condense l’activité cérébrale et le moteur de toutes les nombreuses fonctions de l’humanité!

 

 

L’Italie n’a pas été indemne de ce phénomène naturel. Chez elle aussi, la propriété urbaine a été la grande bénéficiaire de la révolution qui transforma l’organisation économique après avoir changé jusque dans ses fondements l’organisation politique. A Rome, en 1888, la commission des impôts fit des recherches sur cent maisons, situées en différentes parties de la ville dont elle avait pu établir le revenu au moyen des contrats de location pour la plus grande partie des locaux à des intervalles de quelques années. Voici le résultat de ces recherches.

 

 

 

Les 100 maisons occupent ensemble une superficie de 44,804 métrés carres, et leur revenu est en moyenne de 23,58 francs le mètre carré. La «compagnie foncière italienne», et la «société immobilière de Rome» vendaient les terrains à bâtir de l’Esquilin en 1873 à 8,50 FR. le mètre carré; en 1878 leur prix s’était élevé à 9 francs, en 1882 à 30-35 francs, en 1883 75-82,50 francs, en 1884 à 60-95 francs, en 1885 à 105-125 francs. Les terrains de la Villa Ludovisi coutaient en 1886-87 110-130 francs le mètre carré. Aux Parti di Castillo les mêmes terrains qui pouvaient être achètes en 1884 pour 57,50-72 FR. valaient en 1885: 100 francs, en 1886: 110-150 francs, en 1887: 135-150 francs. Les terrains du Trastevere à San Cosimato montent de 80 francs en 1884 à 90-100 en 1885, à 90-120 en 1886, à 130 francs en 1887.

 

 

Les terrains suburbains hors de la Porta Pia, qui ne valaient que 3 francs en 1882, étaient montes en 1887 à 32 FR. L’année 1887 marque le faite de la période ascendante de la crise immobilière; après cette époque les prix des terrains bâtissables décroisent rapidement, mais pas assez cependant pour faire revenir à leur point de départ. A Rome se répète le phénomène déjà observé à Chicago. La courbe ascendante des valeurs immobilières n’est pas continue, elle est interrompue par des ondulations souvent fortes et accentuées vers la baisse; jamais pourtant le point le plus bas d’une crise ne rejoint le point le plus bas de la crise précédente, et le point le plus haut de chaque crise dépasse de beaucoup le point culminant de la crise précédente.

 

 

L’ascension de la valeur du sol peut être représentée par une courbe dont les ondulations ne sont que de courts arrêts dans la tendance irrésistible vers la hausse. A Rome, au moment même où la crise immobilière sévissait dans toute sa force, en 1889, on vendait encore les terrains de Piazza Colonna de 740 à 800 francs le mètre carré, au Corso Vittorio Emmanuèle de 240 à 260 francs, à via Cavour de 50 à 200 francs, à via Statut de 60 à 150 francs, à via Arenal de 200 à 250 francs, dans le viale Del Ré de 156 à 200 francs, au Lungo Tevere de 200 à 250 francs, et en différentes autres endroits de 100 à 150 francs. Les résultats du transfert de la capitale à Rome, de l’augmentation de la population déjà existence et de l’agglomération de la nouvelle population ne furent donc entièrement éphémères; malgré les nuages et les désillusions de la crise immobilière, le sol de Rome a acquis après 1870 une énorme plus- value qu’il serait fou et coupable de nier et dont la cause ne réside qu’en partie dans l’activité de ses propriétaires et résulte presque entièrement de causes étrangères aux individus et qui sont dues à la communauté sociale toute entière.

 

 

Les loyers des quartiers excentriques de la ville de Milan, qui se trouvent en-deca ou au-delà des remparts, oscillent entre 5 et 6 francs le mètre carré; ils montent de 6 à 8 francs dans les quartiers qui ne sont pas dans le centre et sont de 9 à 20 francs dans le centre pour les maisons bourgeoises. Dans la partie plus centrale de la ville, c’est-à-dire Piazza Del Duomo, Gallerie et Portici, dans la première partie du Corso Vittorio Emanuele, et de via Torino, on a des prix uniformes pour les loyers des boutiques de 10 francs à 15 francs le mètre carré, pour les arrière-boutiques de 20 à 40 francs, et enfin pour les magasins de 100 à 180 francs le mètre carré.

 

 

Qu’est-ce qui permet aux propriétaires du sol milanais d’exiger des sommes si élevées pour l’usage du sol, si ce n’est l’accélération des pulsations de la vie commerciale et industrielle de la grande capitale lombarde? et dans quelle mesure ont-ils coopéré à la constitution d’une organisation économique qui leur donne le moyen d’obtenir de si grands profit? Turin n’a pas d’avantage échappé à la loi commune. En 1852, lorsqu’elle était la capitale d’un petit Etat, ses terrains de la périphérie valaient 1 FR. 50 le mètre carré, 15 francs dans les nouveaux quartiers et 30 francs dans les vieux quartiers. En 1882, au commencement de la crise ascendante qui devait les valeurs immobilières à des hauteurs inespérées, les terrains de la périphérie étaient montes à 5 francs, ceux des nouveaux quartiers à 32 francs et ceux des vieux quartiers à 55 francs. La transformation économique de Turin, capitale d’une petit Etat en une grande ville industrielle, avait porté ses fruits. En 1888 et en 1891, qui marquent le commencement et le point le plus bas de la crise descendante des valeurs immobilières, les terrains provenant de la démolition d’anciennes constructions pour l’exécution des travaux d’assainissement valaient le mètre carré.

 

 

Quelle distance a parcouru la valeur du sol turinais entre 1852 et 1891! Quoique la crise immobilière ait affaibli la course effrénée à la hausse de la spéculation foncière, elle a pourtant laissé aux propriétaires un grand profit dont ils jouissent sous la forme d’augmentation de loyers et de rentes.

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