Opera Omnia Luigi Einaudi

Recettes et dépenses du budget de l’état

Tipologia: Paragrafo/Articolo – Data pubblicazione: 01/10/1946

Recettes et dépenses du budget de l’état

«Bulletin de la Société belge d’études et d’expansion», ottobre-novembre 1946, pp. 370-374

 

 

 

1. Dans quelle mesure le budget de l’Etat italien peut-il assumer les frais de la reconstruction nationale?

 

 

Bien entendu, nous devons partir de quelque hypothèse quant à la façon dont est réglée la circulation monétaire. Je partirai de la supposition que sera maintenue invariable la tendance à éviter une inflation ultérieure, situation qui a été jusqu’à présent parfaitement réalisée par les Ministres des Finances de l’Italie nouvelle.

 

 

2. Or, d’après les plus récentes données sur le rendement des contributions et des emprunts, la première et plus essentielle source de recettes pour l’Etat est constituée par les contributions (impôts et taxes).

 

 

Pendant les trois premiers trimestres de l’exercice financier passé (clôturé le 30 juin 1946), le produit des recettes dues aux contributions présente la progression suivante (en milliards de lires):

 

 

 

Total

Moyenne mensuelle

Juillet-septembre 1945

18,7

6,2

Octobre-décembre 1945

32,4

10,8

Janvier-mars 1946

35,0

11,7

 

 

Durant le dernier trimestre, d’avril à juin 1946, la moyenne mensuelle s’est même élevée à environ 16 milliards; et, dans l’exercice en cours, elle sera certainement dépassée. De mois en mois, l’efficacité de l’appareil tributaire s’accroît: après le bouleversement provoqué par la guerre et l’inflation, les anciennes normes sont révisées et adaptées à l’échelle actuelle des valeurs, et des sources de revenu nouvelles sont spécifiées et mises à contribution. De mois en mois, l’activité économique reprend. Les prévisions officielles, qui estiment les recettes de l’exercice de 1946-1947 à 148 milliards, seront donc certainement dépassées: et il n’est pas hasardeux de tabler sur 190 à 200 milliards.

 

 

3. La deuxième source de recettes est constituée par les diverses sortes d’endettement. Le Trésor italien a retiré du marché monétaire, au total, dans le même exercice, de 1946-1947:

 

 

83 milliards par l’émission des bons du trésor ordinaires (avec échéance allant jusqu’à 1 an), dont le volume est passé, du commencement à la fin de l’exercice, de 157,7 à 241,0 milliards;

 

 

46 milliards des crédits de ô compte-courant ouverts au trésor par les banques privées et l’administration de la caisse d’épargne, dont le volume est monté, au cours de l’exercice, de 93,1 à 138,6 milliards.

 

 

En ajoutant à ces 129 milliards (83 + 46), tirés de la dette flottante, 73 milliards de bons quinquennaux du Trésor, émis en aout et juillet 1945, on obtient 202 milliards.

 

 

4. Il convient de faire remarquer que le produit des impôts et des emprunts, dont il est question aux deux paragraphes précédents, a été obtenu dans des conditions monétaires relativement stables. En effet, le chiffre des avances extraordinaires de la Banque d’Italie au Trésor est resté, pendant tout l’exercice, au montant inchangé et initial de 342,6 milliards. L’accroissement limité de la circulation des billets de la Banque d’Italie, qui a eu lieu entre les mois de mars et de juillet 1946, est inférieur aux provisions de billets italiens faites aux autorités militaires, depuis que, au mois de mars, eut pris fin l’émission des ô lires militaires inter- alliées, provisions qui sont, naturellement, comprises dans le chiffre de la circulation.

 

 

D’autre part, pendant l’exercice même, le montant des ô lires militaires interalliées (am-lire = allied military lire) a considérablement augmenté dans les caisses de la Banque d’Italie. S’il avait toutefois fait place à la dépense de ces «lires militaires interalliées» contre le retrait de billets italiens, l’Institut d’émission aurait réduit la circulation de ces derniers à un chiffre qui, au 30 juin 1946, aurait été (comme il ressort de la dernière colonne du tableau) inférieur à celui d’il y a un an.

 

 

Date

Circulation des billets de la Banque d’Italie

“am-lire” dans le caisses de la Banque d’Italie

Circulation des billets de la Banque d’Italie au net des “Am-lire” en caisse

30 juin1945

288,6

5,3

288,3

31 mars 1946

291,7

21,8

269,9

30 juin 1946

300,4

20,1

280,3

 

 

En ajoutant à la circulation des billets de la Banque d’Italie (au net des am-lire en caisse) le montant total des am-lire émises par l’Agence Financière Interalliée (A.F.A. = Allied Financial Agency), comme on le voit dans le deuxième tableau, on remarque que, au cours de l’exercice, la circulation totale des deux sortes de billets a augmenté de 7 pour 100 environ.

 

 

Date

Circulation des billets de la Banque d’Italie au net des “am-lire” en casse

“Am-lire” ‚mises par l’Agence financière interallié

Circulation totale

30 jun 1945

288,3

87,1

370,4

31 mars 1946

269,9

114,3

384,2

30 juin 1946

280,3

114,5

394,8

 

 

5. Si l’on suppose que ces conditions monétaires relativement stables se maintiennent, il n’y a pas lieu de s’attendre à ce que le montant des ressources réalisées au marché monétaire doive être en 1946 et 1947, sensiblement différent de ce qu’il a été en 1945 et 1946, c’est-à-dire qu’il doive s’éloigner des 200 à 210 milliards. Si l’on ajoute les 200 à 210 milliards de ressources obtenus au moyen de l’endettement aux 100 à 200 milliards d’impôts, on peut évaluer à 400 milliards le volume maximum de la dépense de l’Etat à laquelle il soit possible de faire face sans inflation. 400 milliards signifient un quart du revenu national, qu’on évalue, de source autorisée, pour 1945, à 1.600 milliards de lires. (Dans les derniers budgets, relativement bien équilibrés, qui précédèrent la campagne d’Ethiopie, de 1935 à 1936, il y avait 20 à 25 milliards de dépenses contre un revenu national de 90 à 100 milliards, qui, à proprement parler, était de deux tiers supérieur au revenu national actuel).

 

 

6. Quelle est la proportion de ces dépenses qui puisse être consacrée aux besoins de reconstruction?

 

 

En prenant pour base les allocations faites, dans ce domaine, en 1945 et 1946, et les prévisions officielles pour 1946 et 1947, on peut envisager que les dépenses de personnel absorberont au moins 90 milliards; les dépenses militaires, celles de la police, les prestations aux Alliés et les frais d’assistance consécutifs à la guerre (prisonniers, réfugiés, rapatriés, patriotes, familles de rappelés) absorberont également 90 milliards; les dépenses relatives aux services ordinaires d’administration, de santé publique, d’éducation, de justice, de transport, nécessiteront environ 30 milliards; et le service de la dette publique, 30 milliards également; au total, 240 milliards.

 

 

Il resterait donc une marge de 160 milliards environ.

 

 

Quelles peuvent être les destinations de ces 160 milliards dont l’Etat disposera, avec les ressources produites par les impôts et les emprunts, après avoir réglé ses dépenses courantes?

 

 

Il y a deux domaines qui sollicitent l’attention du public et du gouvernement: ce sont ceux de la paix sociale et de la reconstruction économique.

 

 

7. Parmi les problèmes de paix sociale, il en est un qui tient une grande place dans les discussions des journalistes et des hommes politiques: c’est la question des subsides aux ouvriers sans travail. Mais la somme qui, probablement, devra y être consacrée pendant l’exercice de 1946-47 pour secourir les quelque 120.000 chômeurs du Nord n’est pas très élevée: peut- être ne différera-t-elle pas des 5 milliards alloués pendant l’exercice de 1946-47. Quant à la charge du prix politique du pain, c’est-à-dire la différence entre le cout total, pour l’Etat, du pain et des pâtes et le prix de vente inférieur, maintenu très peu élevé afin d’éviter le mécontentement parmi les classes les plus pauvres, elle est beaucoup plus considérable. En y incluant les primes accordées pour le transport rapide du blé aux centres de rassemblement, les frais d’exploitation de ces centres et les pertes différentielles sur les divers produits alimentaires, importés et exportés, on atteint environ 76 à 77 milliards de lires.

 

 

8. Pour la reconstruction des chemins de fer et des travaux publics et pour la contribution officielle, sous forme d’indemnisation des dommages de guerre, à la reconstruction privée, il resterait ainsi quelque chose comme moins de 80 milliards de lires.

 

 

La somme est, assurément, modeste, en égard aux besoins de reconstruction d’un pays qui a subi des dommages de guerre pour plus de 3.000 milliards mais elle est caractéristique comme expression des restrictions de consommation que s’impose une population dont le train de vie est des plus simples. Que l’on n’oublie pas, à cet égard, que les 35.000 lire par an dont dispose, en moyenne, tout Italien valent, au charge officiel de 225 lires par dollar et 907 lires par livre sterling, 150 dollars ou 38 livres sterling (et moins de la moitié de ces chiffres si l’on s’adresse au change libre, au lieu d’avoir recours au change officiel). Pour se faire une idée approximativement exacte du niveau peu élevé des revenus moyens italiens, il convient de comparer les moyennes susmentionnées, des 150 dollars et des 38 livres sterling par an du revenu moyen individuel italien au revenu moyen individuel d’environ 1.200 dollars dont bénéficie le citoyen américain (revenu national, 166 milliards de dollars; population, 140 millions de personnes) et aux 180 livres sterling du citoyen britannique (revenu national, 8,5 milliards de livres sterling; population, 48 millions de personnes).

 

 

9. Il est vrai que ce n’est pas l’Etat seul qui doit pouvoir à la reconstruction. La différence entre le devis de la reconstruction et la contribution d’environ 80 milliards qui pourra y être apportée par l’Etat pourrait être comblée par l’épargne privée, non versée, directement ou indirectement, é l’Etat. Sur les 1.200 millions de lires de revenu national restés à la disposition des citoyens, après avoir acquitté à l’Etat, à titre d’impôts et d’emprunts, les 400 milliards susmentionnés, combien pourra-t-on ultérieurement consacrer à l’épargne et au placement? Il est inutile de hasarder des chiffres, qui seraient trop incertains.

 

 

La marge qui peut être consacrée à l’épargne ultérieure par le citoyen moyen italien pourvu d’un revenu moyen annuel de 35.000 lires, qui a déjà consacré près de 9.000 lires à l’acquittement des impôts et à la souscription à l’emprunt officiel, n’est, évidemment, pas considérable. Etant donné toutefois les habitudes d’épargne de l’Italien, on peut admettre que la reconstruction pourra bénéficier d’environ une dizaine de milliards de l’épargne placée par la voie privée.

 

 

Si le devis de la reconstruction n’est pas inférieur à 3.000 milliards de lires actuelles, et si c’est là une somme qui suffirait à peine à réparer les dommages matériels causés par la guerre, il est évident que, avec le seul apport de 80 milliards de lires tirés annuellement par l’Etat de l’épargne privée et avec les 40 ou 50 milliards que peut-être l’épargne pourra ultérieurement procurer avec les placements privés, le travail de reconstruction durerait trop longtemps. Si l’on veut que l’Italie puisse, au cours d’une période qui ne soit pas trop longue, reprendre la départ au point ou elle était arrivée en 1930, si l’on veut que l’Italie puisse participer à la vie économique de l’Europe et du monde, à l’avantage de tous ainsi qu’au sien propre, il faut que l’épargne extérieure vienne en aide à l’épargne nationale. Toute seule, l’Italie ne saurait se relever. Mais notre situation ne diffère pas beaucoup de celle de tout autre pays d’Europe sur lequel la guerre a passé.

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